La BD polonaise : l’essor d’une scène méconnue
Thorgal, le viking qui a fait les beaux jours du journal de Tintin dans les années 1970, est né de la plume d’un dessinateur Polonais. Le régime communiste a bridé le développement du 9e art. Mais malgré tout, la Bande dessinée s’est fait une place en Pologne.
La Pologne possède son festival international de la bande dessinée. Il se déroule chaque année à Lódz, depuis 1991. La convention de bande dessinée polonaise est la plus importante d’Europe centrale et orientale. La création du festival de Lódz marque l’avènement de la bande dessinée comme objet pleinement intégré à la scène culturelle polonaise.
« La bande dessinée polonaise a longuement été considérée comme un genre destiné aux gens pas très intelligents et aux enfants. Une image négative qui a été renforcée par le pouvoir communiste qui considérait la BD comme un objet issu de la culture occidentale » explique Adam Rusek, chercheur et rare spécialiste de la bande dessinée polonaise du XIXe et du début du XXe siècle. Cette réticence à l’égard de la bande dessinée s’est traduite par une interdiction de l’enseigner dans les écoles d’art au début des années 1960.
Dés le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la diffusion de la bande dessinée a été très encadrée par la propagande d’État communiste. Cette censure a ralenti considérablement son développement, contrairement à ses voisins franco-belges et américains qui se diversifient tant dans les formats, que dans les genres, et les récits.
« Le début des années 1970 marque le début de l’âge d’or de la BD polonaise grâce à la mise en place d’une nouvelle politique culturelle qui permet de multiplier les publications de BD. Ces dernières sont tirés en plusieurs milliers d’exemplaires. C’est aussi à cette période qu’émergent la BD pour enfant et une forme de BD alternative » analyse Adam Rusek.
La science-fiction et l’humour au service de la satire sociale
Cet âge d’or allant de 1970 à 1989 voit aussi se nouer les premières collaborations entre maisons d’édition étrangères et artistes polonais, à l’instar de Grzegorz Rosinski, dessinateur de la série Thorgal. La série, parue dans Le Journal de Tintin en 1977, raconte les aventures de Thorgal Aegirsson, un viking aux origines mystérieuses, qui lutte pour protéger sa famille tout en explorant des mondes fantastiques.
Pour le créateur du personnage de Thorgal, la BD polonaise se singularise par son mélange des genres : « L’illustré polonais a su allier humour, satire sociale et récits d’aventures en s’affranchissant de toute censure. Très marqués par la Guerre froide, les artistes polonais ont aussi beaucoup œuvré pour le développement du genre de la science-fiction et du fantasy ».
Grzegorz Rosinski est aussi reconnu pour son style graphique réaliste qui lui a valu le qualificatif de « monstre du noir et blanc » dans le journal Le Monde, en juillet 2023. Il a bénéficié d’une grande exposition rétrospective de son travail lors du Festival d’Angoulême de 2003. Vivant aujourd’hui en Suisse, le dessinateur reste attentif au marché de la BD polonaise : « Le marché actuel de la bande dessinée polonaise est très restreint. Beaucoup d’auteurs sont obligés de diversifier leur activité dans d’autres domaines tels que l’animation ou le jeux vidéo, et la publicité. Être auteur de BD en Pologne reste un métier précaire ».
Les pouvoirs publics en mission pour valoriser le « 9e art » polonais
Depuis les années 1990, des acteurs institutionnels tentent tout de même de valoriser le « 9e art » polonais. L’Institut polonais de Paris s’est délocalisé à Angoulême pour présenter une exposition « Le quart d’heure polonais » qui met à l’honneur des artistes émergents.
L’institut organise régulièrement des expositions en rapport avec l’histoire de la bande dessinée. L’objectif : valoriser et diffuser le patrimoine iconographique et culturel polonais.
A l’échelle nationale, la ville de Cracovie accueille « Les journées cracoviennes de la bande dessinées » depuis 2011. L’ancienne capitale royale de la Pologne a aussi pour projet de construire un musée entièrement dédié à la bande dessinée.
Alexandre Delaitre
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