En Pologne, le droit d’asile en sursis

"Des deux côtés de la frontière, les migrants subissent des violences par les gardes frontières biélorusses et polonais", témoigne Kalina Czwarnóg, membre de la fondation Ocalenie d'aide aux migrants.

Le Parlement polonais examine actuellement un projet de loi visant à suspendre temporairement le droit d’asile. Présentée par le gouvernement comme une mesure de sécurité nationale, cette proposition suscite l’indignation des ONG. Elles dénoncent des refoulements et des violences systématiques à la frontière.

Depuis l’été 2021, la frontière entre la Pologne et la Biélorussie est devenue un point de tension en Europe. Varsovie accuse Minsk d’attirer des milliers de demandeurs d’asile sur son territoire avant de les pousser vers la frontière, dans le but de déstabiliser la société polonaise.

En réponse, Varsovie durcit progressivement sa politique migratoire. Le chef du gouvernement polonais, Donald Tusk, a annoncé en octobre dernier vouloir suspendre partiellement le droit d’asile pour les migrants entrés illégalement par la frontière biélorusse. Le texte, présenté comme une mesure contre les « attaques hybrides », est actuellement examiné par le parlement polonais. Il prévoit de donner au ministre de l’Intérieur le pouvoir de suspendre temporairement et territorialement le droit d’asile.

Une loi qui pose question

Or le principe même de cette loi entre en contradiction avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui oblige les États membres à « assurer » un accès à une procédure d’asile aux demandeurs. Malgré cela, la Commission européenne a récemment approuvé l’initiative polonaise. Dans un document publié en décembre dernier, l’institution européenne affirme que les États membres peuvent limiter « certains droits fondamentaux », pour « contrer les menaces hybrides liées à la militarisation des migrations et renforcer la sécurité aux frontières extérieures de l’UE ».

Si la loi venait à être adoptée, « sa légalité sera certainement questionnée devant les tribunaux, notamment devant la Cour européenne des droits de l’homme », remarque Mateusz Krepa, doctorant et chercheur affilié au centre de recherche sur les migrations de Varsovie. Selon lui, le gouvernement polonais ne regarde plus les arrivées de migrants que sous l’angle de la sécurité, ce qui légitime des mesures extraordinaires.

« Le récit du gouvernement polonais se concentre sur la « guerre hybride » lancée par la Biélorussie et la Russie contre l’UE. Cela signifie que le débat sur les migrants en tant qu’individus est difficile car ils sont traités comme des « armes », presque des « soldats » de nos ennemis. La plus grande nécessité qui est de protéger l’intégrité territoriale, la souveraineté etc., l’emporte sur les droits de l’homme », explique le chercheur.

Entraves à l’aide aux migrants

Depuis le début de la crise, les tentatives de franchissement de la frontière ont drastiquement augmenté. En 2024, les autorités polonaises en ont comptabilisé 29 707 contre 117 en 2020.

Les ONG dénoncent depuis plusieurs années des refoulements illégaux ainsi que des violences. « Coincées dans ce qui est une zone d’exclusion à la frontière entre le Bélarus et l’UE, les personnes demandeuses d’asile et migrantes sont confrontées à des niveaux de brutalité choquants de la part des forces biélorusses, qui les forcent à entrer en Pologne. Elles sont ensuite systématiquement refoulées par les agents polonais. Les autorités présentes jouent un jeu sordide avec des vies humaines », écrivait Amnesty International en 2021. Selon ces associations, la situation n’a guère évolué depuis. Elles affirment qu’une suspension du droit d’asile ferait peser un risque encore plus gros sur les milliers de migrants présents dans la région vivant dans des conditions déjà désastreuses.

A la frontière, les conséquences de cette tension se font sentir pour les ONG qui viennent en aide aux migrants. « Plusieurs attaques violentes contre des militants ont été recensés, comme des crevaisons de pneus de voitures », décrit Mateusz Krepa. « Les gardes-frontières polonais entravent certaines activités des ONG, comme le conseil juridique ou psychologique pour les migrants en situation irrégulière ou ceux qui sont en détention », continue-t-il. Le 29 janvier dernier, un procès a également débuté, à Hajnówka, contre cinq militants accusés d’avoir permis le passage illégal de la frontière. Jusqu’à présent, aucun militant n’a été condamné pour ce délit.

Les bénévoles de la fondation Ocalenie bravent tout de même les risques pour aider les migrants. « Nous devons travailler dans le secret. Nous essayons d’atteindre les personnes en déplacement sans être repérés par les gardes-frontières, les militaires et ce qu’on appelle la défense territoriale, qui est une formation militaire volontaire », raconte Kalina Czwarnóg, membre du conseil d’administration de l’association.

« Beaucoup de violences physiques et sexuelles »

Elle est sans cesse confrontée aux mauvais traittement dont font l’objet les migrants à chaque fois qu’elle en rencontre. « Les demandeurs d’asile nous racontent ce qu’ils ont traversé et qui se rapproche de la torture du côté biélorusse. Beaucoup de violences physiques et sexuelles. Les gens sont battus et forcés de traverser encore et encore. Et lorsqu’ils arrivent du côté polonais et qu’ils sont arrêtés par les gardes-frontières, il n’est pas rare non plus qu’une certaine forme de violence soit exercée contre eux. Il y a des refoulements, mais avant ces refoulements, des passages à tabac. Certains ont été obligés à se déshabiller. »

La traversée en elle-même est très risquée. En 2022, la Pologne a érigé un mur en acier, haut de 5,5 mètres qui s’étend sur plus de 186 kilomètres. « Ils sont obligés de traverser la « frontière verte », une zone très isolée pleine de forêts et de marécages. Ensuite, ils doivent passer par-dessus ou par-dessous le mur qui est recouvert de barbelés ou alors traverser la rivière. Les gens se blessent à cause des barbelés, ou bien en sautant de la clôture et bien sûr, la rivière est très froide et ils sont tout mouillés. Et en hiver, cela peut être mortel. »

Face à cette politique toujours plus sécuritaire, la question reste entière : jusqu’où l’Europe est-elle prête à fermer les yeux ?

Mathieu Vissouarn

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