Comment la Pologne est devenue un géant du jeu vidéo mondial
La Pologne s’impose comme un acteur clé du jeu vidéo, avec des studios de renommée mondiale. Grâce à une main-d’œuvre très qualifiée et abordable, le pays exporte massivement ses productions, avec des succès planétaires comme The Witcher. Un moteur économique national en pleine mutation.
« La Pologne a montré qu’elle sait délivrer des jeux vidéo de qualités ». Loïc Le Bras est brand manager du jeu Dying Light 2 pour le studio Techland. Ce dernier compte parmi les plus importants en Pologne, juste derrière CD Projekt Red. Le jeune homme de 28 ans s’est installé à Varsovie depuis bientôt quatre ans afin de suivre son objectif : travailler dans le secteur du jeu vidéo. Actuellement, la Pologne compte plus de 440 studios de développement de jeux, un chiffre en constante évolution. À titre de comparaison, la France recense 496 studios.
En 2020, la bourse de Varsovie était la deuxième, juste derrière celle de Tokyo, à compter le plus grand nombre d’entreprises vidéoludique : 88. D’après une estimation de l’agence polonaise pour le développement des entreprises, datant de 2022, ce secteur d’activité représentait 470 millions d’euros. La force de la Pologne réside dans ses exportations, elle produit et exporte bien plus qu’elle n’importe. En 2021, 96 % des revenus du secteur provenaient des exportations.
Selon la banque PKO BP, la Pologne est la quatrième exportatrice mondiale. « Le pays est réputé pour ses productions, assure le jeune homme, ses jeux se vendent à des millions d’exemplaires à travers le monde ». The Witcher 3 en est la parfaite illustration. Le troisième opus de la saga a dépassé les 50 millions de ventes en 2023, huit ans après sa sortie. Ce jeu d’action, dont le premier épisode est sorti en 2007, s’inspire d’une saga de fantasy médiévale écrite par Andrzej Sapkowski, considéré comme le Tolkien polonais.
Une main d’œuvre attractive
Le dynamisme polonais s’explique aussi grâce au vivier de talents dont il dispose. Avec plus de 60 cursus axés sur le secteur, la Pologne dispose d’un niveau élevé de connaissances prêtes à l’emploi. « La main d’œuvre est qualifiée et elle est moins chère que dans d’autres pays développés », explique Loïc Le Bras. Le salaire minimum est de 655 euros par mois, contre 1 539,42 euros en France. C’est l’un des plus bas d’Europe. « La force de la Pologne est de pouvoir proposer des blockbusters à gros budget tout en ayant une production bien moins chère qu’aux États-Unis », explique Miroslaw Filiciak, historien du culturel.
« Ce secteur est une fierté nationale, assure l’historien, le ministère de la Culture donne des subventions aux studios car avoir un fort dynamisme à l’international est aussi un moyen de diffuser le soft power polonais. » À l’étranger, le jeu vidéo est l’un des produits polonais qui s’exporte le plus. Mais lorsque des personnes jouent à un jeu vidéo, comme The Witcher, peu sont au courant qu’il est Polonais, alors que lorsqu’une personne conduit une Peugeot, elle sait que c’est une voiture française. « En France, il y a l’image persistante du plombier polonais, avec le dynamisme du secteur, cette image est en train de changer », s’amuse Miroslaw Filiciak. La franchise The Witcher en est le parfait exemple. Le jeu s’inspire des livres d’Andrzej Sapkowski, qui tire son histoire de légendes slaves. « C’est une véritable fierté nationale ».
Les jeux vidéo, une parenthèse pour les Polonais à la fin du régime communiste
Pour bien comprendre comment la Pologne a fait des jeux vidéo sont fer de lance, il faut remonter aux années 1980 et 1990, avant la chute du communisme. « Ici, nous avons un fort attachement aux films et à la littérature, les jeux vidéo permettent de lier les deux », explique l’historien. Dans les dernières années du communisme, les Polonais rêvaient de la vie dans le bloc occidental. « Dans les années 1970, beaucoup de Polonais fantasmaient à l’idée de pouvoir jouer aux jeux vidéo ». Une décennie plus tard, les magazines dédiés aux jeux vidéo se vendaient en très nombreux exemplaires. « Il y avait plus de personnes qui achetaient ces magazines que de personnes qui possédaient d’ordinateurs », sourit l’historien. L’apparition des jeux vidéo était alors une sorte de parenthèse dans le quotidien des Polonais, l’occasion de s’imaginer vivre comme en Europe de l’Ouest.
Avec la chute du régime communiste, il y a eu un changement générationnel. Le marché polonais n’était pas en concurrence avec le reste du marché européen. En effet, dans les années 1990, l’Europe de l’Ouest était dominée par des jeux produits en 16 bit, alors qu’en Pologne avec le contexte national, les jeux disponibles étaient en 8 bit. Une qualité réduite, plus facile à produire donc. Il était alors facile pour des Polonais de concevoir leurs propres jeux vidéo depuis leurs chambres. Cette tradition de développer des jeux en « pirate » est toujours ancrée dans le pays. C’est d’ailleurs durant cette période que certains des plus gros studios ont débuté.
L’après Covid-19 pour le secteur du jeu vidéo
La pandémie de Covid-19 a permis aux studios de connaître un véritable bon économique. En France, quelques jours seulement après le début du confinement, les ventes de consoles ont augmenté de 140,6 %, d’après l’ISFE, organisme qui compile les données de ventes de l’industrie du jeu vidéo sur le Vieux Continent. Une hausse qui induit également celle des jeux vidéo.
Dernièrement, le secteur du jeu vidéo, surtout en France, connaît un ralentissement. Le géant Français du secteur, Ubisoft, a annoncé au début de cette année la suppression de 185 employés. Un chiffre qui s’ajoute aux 277 postes déjà supprimés au mois de décembre dernier. Bien que la Pologne reste très dynamique, elle est aussi touchée par cette baisse des ventes. « En 2023 le plus gros studio polonais, CD Projekt Red, a licencié 10 % de ses effectifs », assure Loïc Le Bras. Mais pour le jeune homme, le milieu ne se porte pas mal.
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