Mines de sel, quand le tourisme permet la conservation de sites classés

Dans la banlieue sud de Cracovie, la mine de sel de Wieliczka a été inscrite en 1978 par l’UNESCO sur la liste du patrimoine mondial. Chaque année, le nombre de touristes parcourant ses galeries avoisine les deux millions. Sans ces recettes, les frais de conservation du site seraient trop importants.

Pour lui, les touristes ne représentent pas un danger pour le site, bien au contraire. Selon Richard Dębicki, guide touristique et conférencier à la mine de sel de Wieliczka, c’est bien le tourisme qui a permis la conservation du plus grand puits d’or gris de Pologne. Celui-là même ayant fait la renommée du pays pendant 700 ans, du Moyen Âge à nos jours. 

« S’il n’y avait pas d’activité touristique sous terre, martèle Richard Dębicki, il serait impossible de réunir les sommes nécessaires à la sauvegarde du lieu. La mine de Wieliczka ce n’est pas qu’un endroit mystérieux difficile d’accès, c’est aussi et surtout le témoignage d’une vie passée. Une vie faite de douleur et de rigueur pour ces mineurs que la Pologne ne remerciera jamais assez. »

La Chapelle Sainte-Cunégonde à 90 mètres de profondeur depuis le puits de Galerie souterraine depuis le puits de Danilowicz à Wieliczka.

Le chercheur Polonais, diplômé de géologie et devenu guide à Wieliczka aux débuts des années 2000, en veut pour preuve le coût des installations de déshumidification de l’air ambiant. Pour assainir l’air qui se trouve piégé jusqu’aux 327 mètres de profondeur, plusieurs équipes de mineurs professionnels (scientifiques et techniciens spécialisés) se relaient en continu, 24 heures sur 24. Chaque jour, ils sont ainsi entre 250 et 300. Chaque nuit, presque 450. 

Une véritable fourmilière souterraine en grande partie dissimulée aux yeux du public qui ne peut, en compagnie d’un guide, accéder qu’a neuf salles sur 3000 et voir moins de 3 kilomètres de galeries (elles-mêmes aménagées pour permettre aux visiteurs de se déplacer debout le long d’un « circuit »).

À Wieliczka, à la recherche de l’or gris polonais

Dans le sous-sol de Wieliczka, tout est fait de sel: des murs aux plafonds, en passant par la décoration et la réalisation de chapelles religieuses. Un héritage des mineurs d’Antan pour qui le soleil était un idéal et les remontées vers la surface rares. S’ils réussissaient à récolter suffisamment de sel, ils pouvaient prétendre au repos durant une poignée d’heures par semaine. Sinon, il fallait qu’ils redoublent d’efforts pour extraire le précieux cristal. Ici, à Wieliczka, on l’appelle encore « l’or gris ». 

«  Ce qui abîme principalement les structures de sel c’est l’eau qui s’infiltre dans les blocs, mais aussi les éboulements et la présence de gaz instables », précise Richard Dębicki, « colocataire » des lieux, comme il aime le dire. À ses côtés, Piotrek et Pawel, tous deux la trentaine et mineurs d’un genre nouveau: ils ont pour mission de protéger la mine et non de l’exploiter. « En France, vous avez eu les mineurs de charbon. À Wieliczka, il y a eu les mineurs de sel », relève Pawel, casque de sécurité sur la tête et harnais de spéléologie autour de la taille. 

Ces mineurs travaillent, précise-t-il, « en étroite collaboration avec les touristes qui (les) financent ». En revanche, impossible de savoir précisément à combien s’élève la subvention versée par l’UNESCO. D’après la Convention du patrimoine mondial, la mine de sel de Wieliczka aurait touché un peu plus de 157 000 euros entre 1989 et 1994. « C’était aussi ce que nous cherchions en candidatant et remplissant les formulaires administratifs de l’UNESCO », détaille Agnieszka Wolańska, en charge du service développement de la mine. « Mais nous devons trouver plus de fonds, encore ». 

L’objectif de la direction, confie Richard Dębicki, est désormais d’installer de nouvelles machines de déshumidification de l’air, plus performantes et moins encombrantes. « Il arrive que les touristes se demandent ce qu’il se passe dans les galeries voisines du circuit touristique. Les mineurs y font beaucoup de bruit et les nuisances sonores laissent penser qu’il se passe quelque chose de grave. Dans les faits, non. Mais pour autant il est logique de s’inquiéter ». Sur certaines poutres utiles au maintien des galeries et des coffrages de sapin (un bois employé par les mineurs de l’UNESCO pour sa robustesse et son imperméabilité), les forces physiques fragilisent les structures. Il n’est pas rare d’observer l’arrachage des fibres constituant ces énormes pièces de bois. « L’avantage est que les cristaux de sel qui viennent se former en surface durcissent le sapin et le transforment en un matériau en tout points similaire à du béton, explique Richard Dębicki. Malheureusement cela ne suffit pas à assurer la sécurité et la stabilité des voûtes. Il faudrait donc une meilleure machinerie, capable d’assécher plusieurs étages sans peine. »

Les derniers coups de pioche

Galerie souterraine depuis le puits de Danilowicz à Wieliczka, à 20 kilomètres au sud de Cracovie. 137 mètres de profondeur.

Bien que la mine de Wieliczka soit fermée depuis 1996, on y récolte toujours le sel. La roche n’est  plus creusée et les cristaux de sel sont recueillis via le processus d’évaporation. Ce qui réduit très largement les recettes issues de la production pure. Mais, selon l’une des co-directrices du site Agnieszka Wolańska, l’essentiel n’est pas là. « Ce qu’il faut garder en tête, c’est que dorénavant la mine de Wieliczka appartient pleinement au patrimoine de la civilisation ». Il ne s’agit donc plus là de rentabilité, mais de maintenir en vie un « ensemble de chantiers souterrains, déjà exploités ». « Et rien ne conserve aussi bien que le sel! », ajoute Richard Dębicki.

En Pologne, il existe encore des mines de sel dites « ouvertes », c’est-à-dire que l’extraction s’y effectue toujours traditionnellement. C’est le cas de la mine de Klodawa, située dans le centre-ouest du pays, et dont les galeries s’étendent jusqu’à 750 mètres de profondeur. Là-bas, le sel y est de couleur rose. « C’est beau, mais moins qu’ici », juge le mineur Piotrek. 

Camille Dubuffet

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