Varsovie inaugure son premier musée queer : un espoir pour la communauté LGBTQIA+
Un musée dédié à l’histoire des personnes LGBTQIA+ a ouvert ses portes en Pologne en décembre dernier. Le Queer Muzeum de Varsovie est le troisième du genre en Europe et le cinquième dans le monde. Presque un exploit dans ce pays considéré comme l’un des plus homophobes de l’Union européenne et où les droits des personnes homosexuelles sont encore très limités.
Le petit local en plein centre de Varsovie fait à peine la taille d’un studio. Pourtant, il a déjà fait couler beaucoup d’encre depuis son ouverture en décembre dernier. « C’est le premier musée dédié à l’histoire des personnes queer dans la région post-communiste », se réjouit Pawel Zukowski, artiste et membre du programme du Queer Muzeum.
Un projet ambitieux sur lequel l’ONG Lambda Varsovie a commencé à travailler il y a cinq ans. Et si l’idée a été approuvée et encouragée par Rafal Trzaskowski, le maire de la ville à l’orientation politique centriste, le lieu ne reçoit aucun fonds publics. Son existence dépend entièrement de dons privés. « Au départ, j’étais très sceptique à l’idée, je pensais qu’on ne trouverait jamais assez d’argent pour financer le musée à cause de l’homophobie très présente en Pologne, mais le directeur de Lambda Varsovie a réussi à concrétiser ce projet incroyable », s’enthousiasme l’artiste.

Donner de la visibilité à la communauté LGBTQIA+
De la rue, le musée passerait presque inaperçu. Seules trois affiches permettent de situer le lieu. À l’intérieur, l’exposition est sobre. La pièce est aseptisée et la lumière crue. Quelque 150 artefacts sont présentés aux visiteurs, retraçant des moments forts de l’histoire queer, de 1559 à nos jours. Des objets exposés allant de pin’s aux couleurs arc-en-ciel au texte du Code pénal de 1932 sur la dépénalisation de l’homosexualité en Pologne. « Le musée a un objectif éducatif, car les personnes queer ont aussi marqué l’histoire du pays », explique avec fierté Pawel Zukowski.
Pour lui, « ce genre d’endroit est très important pour changer les mentalités, en tant que personne gay dans un pays comme la Pologne, j’aurais aimé avoir un lieu comme ça quand j’étais adolescent. » Un avis partagé par la plupart des visiteurs qui, eux-mêmes, appartiennent souvent à la communauté LGBTQIA+ selon Pawel Zukowski. « En tant que personne queer, je cherche des endroits comme ça quand je pars à l’étranger ; ce musée permet de donner un lieu de rendez-vous aux personnes LGBT, un endroit où se sentir en sécurité et où se rencontrer », s’enthousiasme Zila Castille-Keravec. Avoir un lieu pareil en plein cœur de la capitale polonaise est une chance d’après la touriste française.

Malgré l’engouement autour de la naissance de ce lieu, certains visiteurs ont du mal à cacher leur déception. Les quelques personnes présentes se marchent dessus et s’évitent difficilement. « C’est vraiment petit, je m’attendais à un lieu plus grand et avec plus d’objets », regrette Alec*. Le Polonais appartient lui aussi à la communauté queer et s’est déplacé exprès pour découvrir le projet avec de grandes attentes. La taille de l’unique salle de ce musée est d’ailleurs sur les lèvres de tous les participants. « C’est vrai que c’est petit, mais un tel lieu permet tout de même de donner de la visibilité à la communauté LGBT », nuance de son côté son amie Zuzia*.
Un pays encore fermé sur les questions des personnes queer
Ouvert depuis un peu plus d’un mois maintenant, dans une des rues les plus animées de Varsovie, le lieu croule sous les félicitations du monde entier depuis. « La presse gay à l’étranger a beaucoup réagi, et nos visiteurs viennent toujours nous remercier pour cette initiative », explique Pawel Zukowski avec satisfaction. Le Queer Muzeum de Varsovie a cette particularité de n’être que le troisième musée dédié à l’histoire des personnes LGBTQIA+ à ouvrir ses portes en Europe, les deux autres étant à Berlin et à Londres. Et quant aux réactions de personnes réticentes au projet, « on n’y a pas été confronté, enfin pas encore », conclut l’artiste avec un sourire pincé.
Car l’ouverture d’un musée pareil est presque inespéré dans un pays comme la Pologne, encore très hostile aux droits des personnes homosexuelles. Chaque année, l’association Ilga-Europe publie une carte des pays européens pour désigner les plus « homophobes » du continent. En 2024 encore, la Pologne est la dernière du classement en Union européenne. Et pour cause, à peine six ans en arrière, des zones « anti-idéologie LGBT » existaient dans le pays. Ces résolutions autorisaient par exemple les enseignes à refuser l’entrée de personnes affichant leur homosexualité. Ou encore les collectivités pouvaient arrêter de donner des fonds aux associations aidant la communauté LGBTQIA+. Un dispositif qui a poussé l’Union européenne à couper les subventions un temps aux cinq zones concernées et à rappeler que l’UE est une « zone de liberté LGBTIQ ».
Si aujourd’hui, ces résolutions ont été révisées ou annulées, la Pologne demeure un pays peu ouvert à la communauté queer. « Il n’y a aucune forme de protection contre les discours de haine, ni d’autorisation d’union civile pour les LGBT », regrette Pawel Zukowski. Une absence de reconnaissance liée à une politique très conservatrice et eurosceptique menée par l’extrême-droite dans le pays pendant presque dix ans, de 2015 à 2023. Régulièrement, l’institut de sondage CBOS mène une enquête pour évaluer le niveau d’homophobie du pays. En 2021, il estimait que plus de deux tiers des répondants polonais considéraient l’homosexualité comme une déviance. Parmi eux, 17% pensaient qu’elle ne devait pas être tolérée.
*Les personnes n’ont pas souhaité donner leur nom complet.
Photos de Camille Sciauvaud
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