« Plus qu’un simple sport »: à Varsovie, le roller derby bouscule les normes
Depuis onze ans, l’équipe mixte du « Warsaw roller derby » balaye les conventions ancrées dans les sports d’équipes traditionnels.
Passé 20 heures ce lundi 27 janvier, le gymnase installé en périphérie de Varsovie est déserté par les habituelles équipes de sports collectifs. Seules les coupes de championnat et les photos de groupe accrochés aux murs illustrent la venue de générations de joueurs amateurs. Malgré le calme apparent, l’unique vestiaire occupé est aussi étonnant que festif. Réunis sur des bancs, une dizaine d’adultes revêtent leur tenue, des casques bariolés et des rollers colorés, comme on enfilerait des vêtements de scène. « C’est l’activité la plus folle que j’ai jamais fait », se réjouit Kathia, 38 ans, en lassant ses patins à quatre roues.
Depuis un an, la jeune femme a rejoint le « Warsaw roller derby », une des équipes locales de roller derby. Né aux Etats-Unis au siècle dernier, le sport féministe et militant est à la croisée entre course de vitesse et combat de lutte sur des patins à quatre roues. Les règles, complexes pour les non-connaisseurs, consistent pour une « jammeuse » à se confronter physiquement à quatre « bloqueuses » collées les unes aux autres pour tenter de les contourner. Pour gagner, le tout doit être exécuté le plus rapidement possible.
Comme Kathia, qui recherchait de l’adrénaline, l’ensemble des joueurs a conscience des risques du sport de contact : « il y a quatre ans, une collègue est arrivée au travail en béquilles après une fracture en rollers, se rappelle Kuba, 32 ans, quand elle m’a raconté, ça semblait tellement marrant et bizarre que je me suis dit que je devais essayer moi aussi ».

Casque, genouillères, protège-dents… si l’équipement imposant est volontairement mis en exergue par des autocollants ou des couleurs flashy qui s’inspire de la culture punk, l’agressivité ou la violence sont proscrites par l’équipe. Pour preuve, qu’ils soient maladroits sur les patins ou patineurs confirmés, les coéquipiers s’entrainent sans que le niveau de jeu de quiconque ne soit remis en cause, ni par les joueurs, ni même par le coach. « Je n’avais jamais fait le moindre sport de glisse avant d’intégrer l’équipe », illustre Kuba en revissant les roues de ses patins rouges vifs.
« Tous les genres, toutes origines et toutes apparences physiques«
Au-delà de l’absence de condition physique ou sportive pour intégrer l’équipe, « le roller derby invite les personnes de tous les genres, toutes origines et toutes apparences physiques », promet Suffokate, l’une des patineuses de l’équipe. Objectif: « offrir à chacun l’espace pour acquérir confiance en lui », explique-t-elle. Dans les années 2000, soutenir et émanciper les femmes et les personnes queers deviennent des principes fondateurs pour toute la nouvelle génération de patineurs. Depuis, qu’importe le contexte national et politique, en Pologne comme ailleurs, la défense et l’intégration des personnes LGBTQI représentent des valeurs ancrées au sein des ligues.
Il y a deux ans, c’est ce qui séduit en partie Camilla, 32 ans : « Etant queer et autiste, je savais qu’en venant ici je serais dans un environnement bienveillant », sourit celle qui a commencé le patinage à l’âge adulte, comme la plupart de ses coéquipiers.

Un climat politique et social défavorable aux femmes et aux minorités de genre
Si s’affranchir des normes dominantes présentes dans les sports traditionnels est inscrit dans l’identité du roller derby, en Pologne, cette prise de position est particulièrement symbolique. Restriction des droits des femmes, homophobie,… depuis plusieurs années, les associations de défense des droits humains dénoncent un climat politique et social défavorable aux femmes et aux minorités de genre.
Selon l’association de défense des droits humains Ilga Europe, qui réalise un classement annuel des pays européens basé sur le respect des droits des personnes LGBTQI, en 2024, la Pologne se maintenait à la dernière place de l’Union européenne. Dans ce contexte, « le roller derby est plus qu’un simple sport », résume Suffokate.
Malgré le contexte politique, le « Warsaw roller derby » continue ses grandes ambitions à l’échelle amateur. Dans quelques jours, une partie de l’équipe participera à un tournoi organisé en République Tchèque. « Je ne sais même pas encore si je serai de la partie ou pas », rigole Kathia sous son protège-dents. A l’image des principes de l’équipe, aucune pression, sportive ou politique, ne semble diminuer le plaisir du jeu.
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