L’Église polonaise s’essouffle, pas ses fidèles

Fragilisée par les crises internes, l’Église polonaise subit la sécularisation qui touche le monde occidental. Mais 71% des Polonais se déclarent encore catholiques. Parmi eux, des catholiques culturels ayant hérité leur foi de la tradition. Mais aussi, et de plus en plus, des fidèles fervents.

“On a 2000 personnes chaque dimanche, mais il y a 20 ans c’était 5000”. Le père jésuite Pawel Bucki est curé de la paroisse Saint-André Bobola à Varsovie. Avec onze messes le dimanche et huit par jour en semaine, elle fait partie des 10.300 paroisses du pays. Un chiffre record quand on le compare à la France : une paroisse pour 350 habitants, contre une pour 7000 habitants en France.

Si Saint-André Bobola regroupe chaque semaine une quarantaine de groupes – familles, enfants, étudiants – elle n’échappe pas à la baisse de fréquentation. Même constat pour les vocations. Selon l’agence de presse catholique KAI, la Pologne comptait 828 séminaristes en 2012 contre 441 en 2020, soit plus de deux fois moins en huit ans.

Moins nombreux mais plus fervents

La baisse de participation à la messe dominicale s’explique en grande partie par le départ des « catholiques culturels”. Ces fidèles, pour la plupart d’un âge avancé, ont hérité leur foi de la tradition et se rendent à la messe plus par habitude que par conviction. Cependant, la période de pandémie a opéré une sorte de tri. Beaucoup de fidèles ne sont pas retournés à la messe après la réouverture des églises. La religiosité populaire s’amenuise donc au fil des générations.

Ceux qui pratiquent le font par choix personnel. Entre 2015 et 2023, le nombre de communiants a augmenté, passant de 42,8% à 48.3%. “Ce sont les gens qui vivent leur foi d’une manière beaucoup plus personnelle”, analyse l’ecclésiastique. Les églises ne désemplissent pas de fidèles fervents. Preuve de leur attachement aux sacrements, un prêtre est toujours disponible pour confesser ou donner un accompagnement spirituel au cours de chaque messe.

“Il y a un rejet du langage traditionnel de l’Église”

L’Eglise a perdu le rôle essentiel qu’elle a tenu dans l’histoire de la Pologne. Au XIXe siècle, alors que le pays n’existait pas, c’est elle qui s’est portée garante de la polonité à travers le monde. Au XXe siècle, de nombreux religieux polonais ont été honorés comme « Justes parmi les Nations » pour avoir aidé des Juifs. Enfin, l’Eglise a constitué un rempart solide contre le régime communiste en fournissant un espace de liberté. Dans toutes ces épreuves, l’institution était solide et unie. Mais pour le Père Pawel Bucki, des divisions existaient déjà. “On n’en parlait pas pour ne pas montrer de faiblesse devant le régime communiste”.

Aujourd’hui, les désaccords se voient davantage. Et il y en a beaucoup. L’alliance avec le PiS – le parti Droit et justice, évincé du pouvoir en 2023 – en fait partie. Cette ingérence de l’Eglise dans les choix politiques des fidèles a été très mal vue par nombre d’entre eux. Ceux qui ne soutenaient pas le parti se sont sentis trahis. Comme Anne, franco-polonaise et mère de famille établie à Varsovie : “Je ne vois pas ce que l’Église a à faire avec un parti. Surtout que le parti n’a pas grand-chose à voir avec l’Église catholique.” Quel ne fut pas aussi le scandale quand il y a 10 ans, la Pologne s’est rendu compte que les problèmes de pédocriminalité n’arrivaient pas qu’à ses voisins.  “On a longtemps essayé de faire semblant que le sujet n’existait pas. On a oublié beaucoup de victimes. On leur a dit que c’était leur faute.” En 2022, les évêques constituaient une autorité morale pour seulement 2% des Polonais, selon un sondage réalisé par l’institut Ipsos.

Pour Marcin Przeciszewski, rédacteur en chef de l’agence d’information catholique KAI reliée à l’épiscopat polonais, l’Eglise polonaise n’agit pas à hauteur des enjeux. Les appels du pape François, élu en 2013, sont jugés trop modernes pour le clergé. Le souverain pontife exhorte régulièrement « l’Eglise à sortir d’elle-même » pour aller « dans les périphéries », et dénonce aussi la « spiritualité mondaine » et l’Église « autoréférentielle ».

Pour lui, le pape François est pourtant une grande chance pour l’Église polonaise, à condition qu’elle l’écoute. « Il parle d’une nouvelle époque pour l’Église. Il est dans l’ère du temps”. Mais la majorité des évêques sont « assez perdus », et ne « font pas un discernement adapté à ce qui se passe ». Creusant ainsi le décalage avec les fidèles et faisant peu à peu le vide autour d’eux. “Il y a un rejet du langage traditionnel de l’Église, théorique, intellectuel, théologien. Les jeunes ont plutôt besoin de témoignages vivants de la foi”.

“Maintenant, c’est le catholicisme de la joie”

La fin du catholicisme culturel marque l’arrivée d’une nouvelle forme de foi. “Maintenant, c’est le catholicisme de la joie. Celle des communautés, plus vivantes et plus ferventes”, estime Marcin Przeciszewski. Le panel est très varié en Pologne. “Le mouvement Oasis, Lumière et vie, le Renouveau Charismatique, Neocatechumena, les propositions des Dominicains ou encore des Franciscains, la Fondation du nouveau millénaire…”, sans oublier les nombreux mouvements scouts. Ces différentes communautés permettent à chacun de vivre sa foi selon sa sensibilité. Anne et sa famille ont par exemple choisi les Dominicains, où ils apprécient les jeunes prêtres “en phase avec l’ère du temps.” “L’Église n’est pas une seule chose, c’est plein de gens avec des charismes différents”.  

Paulina Pasternak est religieuse consacrée à Varsovie dans la communauté du Chemin neuf, qui oeuvre pour l’unité des Chrétiens. Elle estime que les communautés offrent des “lieux de foi vivante”, à la différence des cours de catéchisme “trop scolaires”. Certaines personnes se tournent vers le Chemin neuf car ils ressentent “une sorte d’insatisfaction dans ce qu’ils connaissent”. Certains cherchent aussi parfois explicitement « une église plus ouverte, plus universelle et œcuménique”. 

L’Eglise polonaise, toujours dynamique malgré le processus de sécularisation caractéristique du monde occidental, souffre de ne pas avoir une vision claire du futur et des actions à mener. “Ce n’est pas la fin du catholicisme et de l’Église en Pologne, mais une époque de changement qui est assez douloureuse” explique Marcin Przeciszewski. La foi des Polonais est alimentée à l’échelle des communautés, en attendant un sursaut de l’institution.

Domitille Robert

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