« Jasna Gora fait partie de notre identité » : la dévotion des Polonais à la Vierge noire

“Jasna Gora est peut-être moins important vu des grandes villes, mais les Polonais des campagnes et des petites villes viennent beaucoup ici”, détaille Pawel, 30 ans. Lui est venu par “gratitude”, pour rendre grâce pour son voyage en Australie. Sa mère aussi est venue pour prier, et a fait dire une messe pour confier ses intentions à la Vierge. Les fidèles sont nombreux à le faire, et donnent souvent généreusement à l'Eglise, sans toutefois être obligés. Les milliers d’objets pieux et de chapelets accrochés aux murs de la chapelle de la Vierge témoignent des grâces exaucées. “Il y a des personnes qui ont vécu des accidents, et qui priaient à ce moment-là et qui ont été sauvés. Ils viennent remercier la Vierge noire”. Bien qu’elle ne soit jamais apparue ici, “beaucoup ressentent sa puissance particulière” dans cet endroit.

La Vierge Marie n’est jamais apparue à Czestochowa. Pourtant, cette ville de Silésie est la capitale spirituelle de la Pologne. Cinq millions de pèlerins viennent chaque année se recueillir au sanctuaire de Jasna Gora devant l’icône de la Vierge noire. Attaquée, dérobée, mise sous séquestre sous le communisme, mais toujours présente…son histoire est celle de la Pologne toute entière.

Le clocher de la basilique est visible à des kilomètres. Il faut dire que l’imposant sanctuaire de Jasna Gora domine la ville, posté au bout de la grande allée qui traverse Czestochowa, au sud de la Pologne. Cet après-midi douce de janvier, il n’y a pas foule dans les rues. Mais il suffit de franchir l’enceinte du sanctuaire pour voir de la vie. 

Des chants s’élèvent de la chapelle où se trouve l’icône miraculeuse. À l’intérieur, les fidèles sont si nombreux qu’une deuxième salle permet de suivre la messe sur un écran. Une quarantaine de personnes – audioguides sur les oreilles – attend dehors le début d’une visite. “C’est la cinquième fois que l’on vient ici, car c’est un lieu saint”, confie un père de famille, venu de loin avec femme et enfants. Un autre couple est en escale. “On traverse la Pologne du nord au sud et comme à chaque fois, c’est naturel de venir ici pour prier”. Poussettes, déambulateurs, adolescents… tous les âges sont représentés. Face au calme des environs, on se demande presque d’où sont sortis tous ces gens.

Un lieu miraculé

Même si la Vierge n’est jamais apparue ici, le lieu est sacré pour les Polonais. Ils viennent prier la Vierge noire. L’icône est exposée dans la chapelle principale, elle représente la Vierge Marie portant l’enfant Jésus dans sa main gauche. Fusion entre l’art byzantin et la culture latine, elle est connue pour la joue balafrée de la Vierge. Des cicatrices de l’histoire polonaise.

Peinte par Saint-Luc selon la légende, la Vierge noire est possédée par le duc Ladislas II d’Opole au XIVe siècle. Mais la forteresse où elle repose est assiégée par les Tatares, et une flèche la touche au niveau de la gorge. Ladislas l’emporte alors à Czestochowa, où il la confie à des moines paulins hongrois, qui construisent à sa demande le sanctuaire de Jasna Gora.

En 1430, la Vierge noire est dérobée lors d’une invasion de hussites. Mais alors qu’ils commencent à quitter les lieux, le chariot et les chevaux s’immobilisent. Un soldat jette alors le tableau à terre et le frappe par deux fois avec son épée, ajoutant ainsi deux cicatrices. On raconte qu’avant de frapper une troisième fois, il tombe à terre et meurt sur le coup. Plusieurs artistes tentent en vain de restaurer l’image. Les cicatrices réapparaissent à chaque fois.

Résistance polonaise

La Vierge noire de Jasna Gora est un symbole de résistance pour les Polonais. Elle est réputée avoir contribué à la défense héroïque du sanctuaire lors de l’invasion suédoise en 1655. Pendant la Seconde guerre mondiale, le sanctuaire échappe au pire alors qu’il abrite des juifs. “Trois groupes de pilotes allemands ont survolé le sanctuaire, sans jamais les voir. À la place, alors que lieu est pourtant très grand, ils voyaient un lac. Ils n’ont donc pas pu tirer dessus”, raconte avec émotion Maria. 

Des années plus tard, la Vierge noire est la cible du régime communiste. En pleine célébration du millénaire du baptême de Pologne, le 20 juin 1966, l’icône est saisie par les services secrets. Elle passe neuf ans enfermée derrière les grillages de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Varsovie. Les Polonais continuent d’honorer le cadre vide de l’icône. Les moines y inscrivent “Voici l’icône emprisonnée par les autorités”, en signe de résistance.

La Vierge noire de Czestochowa dans la chapelle de l'icône Miraculeuse de Jasna Gora.
La Vierge noire de Czestochowa dans la chapelle de l’icône Miraculeuse de Jasna Gora.

“Jasna Gora a toujours été un endroit essentiel pour les Polonais, dans les bons comme dans les mauvais moments, malgré les attaques”, résume Piotrek, un bébé dans les bras. De passage dans la ville pour un rendez-vous médical, lui et sa famille ont décidé de s’arrêter au sanctuaire. “On vient se mettre sous le regard de notre mère la Vierge Marie de Czestochowa, reine de la Pologne”. À leurs yeux, le sanctuaire représente aussi un lieu d’unité. “Dans notre société, nous sommes très divisés. Mais ici, tout le monde est rassemblé”. Leurs trois garçons ne s’ennuient pas : le lieu est encore habité par l’esprit de Noël. Ils courent entre les sapins dorés et admirent la gigantesque crèche.

Les dorures, les boiseries sculptées, le marbre des autels et les nombreux ornements participent à la beauté du lieu. “On a été vraiment impressionnées par tous les détails de la chapelle de l’icône miraculeuse. C’est très différent de ce que nous avons en Allemagne”, racontent trois jeunes protestantes en échange scolaire, à la sortie d’une visite.

La statue de Saint Jean-Paul II à l'entrée du sanctuaire de Jasna Gora
La statue de Saint Jean-Paul II à l’entrée du sanctuaire de Jasna Gora

La figure de l’ancien pape polonais a marqué l’histoire du lieu. “Jean-Paul Il a aimé Jasna Gora, il a aimé la Vierge, il a prié dans la chapelle. Il a cru que si les Polonais gardaient leur foi, ils survivraient à tout”, explique Maria. Le saint avait confié ici sa mission papale à la Vierge Marie, utilisant la célèbre devise “Totus Tuus” (Tout à toi Marie). Sa statue accueille les pèlerins à l’entrée du sanctuaire. Et la ceinture qu’il portait lors de sa tentative d’assassinat en 1981 est exposée aux côtés de la Vierge noire. 

“Jasna Gora est peut-être moins important pour les habitants des grandes villes. Mais les Polonais des campagnes et des petites villes viennent beaucoup ici”, confie Pawel, 30 ans. Lui est venu par “gratitude”, après son voyage en Australie. Sa mère aussi est venue prier, et a fait dire une messe pour confier ses intentions à la Vierge. Les fidèles sont nombreux à le faire, et donnent souvent généreusement à l’Eglise. Les milliers d’objets pieux et de chapelets accrochés aux murs de la chapelle de la Vierge témoignent des grâces exaucées. “Il y a des personnes qui ont vécu des accidents. Elles ont prié et ont été sauvées. Ils viennent remercier la Vierge noire”. Ici, “beaucoup ressentent sa puissance particulière”.

Domitille Robert

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