La scène metal polonaise, entre influences soviétiques et gloire internationale

Vader, Abominated ou Behemoth sont tant de noms de la scène metal polonaise internationalement reconnus par les amateurs. Plus extrême que chez ses voisins européens, empreinte de poésie sombre, la musique metal polonaise s’est toujours démarquée du reste du monde, animée par le passé soviétique du pays.

Ce lundi soir, devant la Halle Torwar, salle de concert de Varsovie, les fans de metal attendent de pied ferme dans le froid. Ils sont venus voir le groupe américain Papa Roach, un incontournable du genre musical, ayant vendu plus de 30 millions d’albums dans le monde. L’étape polonaise de la tournée européenne du groupe ne faisait aucun doute. Car en Pologne, le metal est une institution. Allant du death metal au black metal – sous-genres extrêmes du heavy metal -, ils sont nombreux à composer le paysage musical polonais.

Andrzej, 39 ans, lui-même chanteur dans un groupe à Varsovie, fait partie de leur public. « J’écoute « Vader », et principalement les plus gros groupes polonais. C’est surtout du black et du death metal. Ces groupes ont de bons musiciens et des paroles travaillées », assure le metalleux, Doc Martens aux pieds, impatient de pouvoir entrer dans la salle de concert Torwar.

Le groupe de death metal Vader est un des premiers de ce genre venant d’Europe de l’Est à acquérir une renommée internationale. Formé en 1983, avant la fin de l’URSS, la formation comptabilise presque 133 000 auditeurs mensuels sur Spotify. Elle est aussi connue pour avoir enregistré la démo « la plus vendue de l’histoire du death metal » au début de sa carrière, d’après le média culturel polonais Culture.pl.

De nombreux autres groupes polonais appartiennent au courant du black metal, empreint de thèmes sombres, parfois macabres, voire satanistes. Si des groupes comme Vader, Behemoth, ou Riverside séduisent au-delà des frontières polonaises, une scène « underground » monumentale – par rapport au reste de l’Europe -, se réclame de ce mouvement.

A domicile, ce n’est pas toujours au goût des institutions. Certains groupes revendiquent un sentiment anti-religieux, face à la forte tradition catholique de la Pologne, et où la droite conservatrice est toujours très puissante. En 2021, le chanteur du très populaire groupe « Behemoth », dont les chansons sont axées sur des thèmes satanistes, a été condamné pour avoir offensé des sentiments religieux en publiant une image de la Vierge Marie piétinée. Autant de controverses qui contribuent à attiser les curiosités pour cette frange souterraine du black metal.

Pendant l’ère soviétique, contenir la jeunesse… grâce au hard rock

Cette particularité culturelle n’est pas anodine dans un pays qui a connu la dictature communiste, de la fin de la Seconde guerre mondiale à la chute du mur de Berlin en 1989. Bien que de manière parfois indirecte, l’ère soviétique a eu une influence significative sur le développement du metal en Pologne.

Dans les années 1970, le gouvernement communiste polonais cherche à endiguer les mouvements de contestation de la jeunesse. Car à la fin de la décennie, lorsque le bloc soviétique s’enlise dans une grave crise économique, le ressentiment de la jeune génération s’accroît. Les autorités peinent à contenir l’emballement des jeunes polonais, mais commencent à s’intéresser à un moyen de le contrôler : la culture.

« Le régime considérait que leur donner accès au rock et au metal était un moyen de dépolitiser la musique. Le rock, vu comme un outil de rebellion, est utilisé par le régime comme une « valve de sécurité » » , explique Tom Junes, historien à l’Institut des Études politiques de l’Académie polonaise des sciences.

Pendant les années 1980, le gouvernement met en place une politique pour encourager la création, et ce malgré la proclamation de la loi martiale, et la censure. Les groupes de punk rock pouvaient enregistrer leurs albums dans des studios gérés par l’Etat, tandis qu’à ce moment-là naît le légendaire festival de rock de Jarocin, l’un des plus gros d’Europe à l’époque. D’autres suivent, comme celui de Metalmania en 1986. « Cette scène des festivals a été cruciale pour l’émergence et la diffusion des futurs groupes de métal en Pologne », relève Tom Junes.

« Tristesse dans les paroles » et extrémisme

Ces groupes qui émergent s’inspirent du vécu de la société polonaise sous la dictature. Le genre du black metal est alors largement plébiscité par ces groupes qui évoquent des thèmes difficiles. « Il y a beaucoup de tristesse dans les paroles. C’était l’époque la plus sombre de l’époque communiste. Le pays était très pauvre », explique Mateusz Zborowski, bien que trop jeune, du haut de ses 28 ans, pour se souvenir de cette période.

L’extrême droite, anti-communiste, imprègne aussi une frange extrémiste du black metal polonais, même si étant « moins proéminente que le reste » et « ayant plus l’ambition d’incarner une contre-scène au black metal », témoigne Tom Junes. L’année dernière, le festival Hellfest à Clisson en France avait ainsi fait polémique en programmant un groupe polonais lié à la mouvance black metal néonazie. Des festivaliers avaient été aperçus avec des t-shirt arborant des messages antisémites.

Nouvelle génération et héritage

Les groupes portés par la nouvelle génération sont désormais loin de l’ère soviétique. D’autant plus qu’après la chute du mur, les produits culturels de l’Ouest sont venus concurrencer ceux des pays de l’ex-bloc soviétique. « La mondialisation et l’européanisation ont pris le dessus. De nouveaux groupes ont pris le relais à cette époque. Je ne pense pas que l’héritage de cette culture de l’ère soviétique ait été aussi fort », observe l’historien de la Guerre froide Tom Junes.

Pourtant, il reste des traces de son influence dans les musiques d’aujourd’hui. « Il y a beaucoup de groupes qui parlent de maladies et de dépressions dans leurs chansons, comme « Odraza ». Je pense que l’héritage, c’est plus un traumatisme général qui vient des grands-parents qui, eux, ont vécu la dictature », témoigne le chanteur de Kir, qui avoue aussi parler de son propre mal-être en composant les titres de la jeune formation.

Reste à savoir si la jeune génération, moins cliente du metal polonais que les trentenaires, va rester sensible à ce message artistique. En tout cas Mateusz Zborowski reste optimiste. « C’est juste une question de temps. Il y a peu, je suis allé voir « Gruzja ». Et je n’ai jamais vu autant de jeunes, parfois dans les 15 ans, dans un public », s’enthousiasme-t-il.

Laisser un commentaire