Les enfants ukrainiens face à un durcissement des règles pour leur intégration scolaire

À l’approche de l’élection présidentielle, le quotidien des réfugiés ukrainiens en Pologne devient un sujet de débat. Cette fois, ce sont les enfants qui sont dans le viseur, avec un durcissement des règles les concernant, les obligeants à suivre un cursus polonais depuis la rentrée scolaire. 

L’intégration, c’est le maître-mot du gouvernement polonais concernant le durcissement des règles qui encadrent la scolarité des enfants ukrainiens. C’est ainsi qu’ils ont justifié l’obligation pour les Ukrainiens de suivre un cursus dans les écoles polonaises, et ce, depuis la rentrée scolaire. Mais c’est seulement la partie émergée de l’iceberg.

Depuis 2015, toute personne qui travaille et paye des impôts en Pologne peut bénéficier d’une aide de 800 zlotys (190 euros environ) par mois et par enfant scolarisé jusqu’à l’âge de 18 ans. Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, et l’arrivée massive d’Ukrainiens, la Pologne a étendu cette réforme aux réfugiés installés dans le pays. Jusqu’à l’année scolaire précédente, même si les enfants suivaient un cursus ukrainien en ligne ou en présentiel, et que leurs parents ne payaient pas d’impôts, ils pouvaient en bénéficier. Une manière d’ouvrir ses frontières aux voisins touchés par le conflit.

Les règles sont à présents différentes : les enfants ukrainiens doivent obligatoirement être scolarisés dans des écoles polonaises pour pouvoir en bénéficier. Depuis le début de l’année 2025, et avec l’approche de l’élection présidentielle, le parti politique PiS (Droit et Justice) et le KO (Coalition civique) souhaitent également conditionner la perception des 800 zlotys au fait que les parents de ces enfants travaillent et payent des impôts en Pologne. 

Une restriction qui suscite l’incompréhension du corps enseignant

« Je ne comprends pas pourquoi ils en font un débat », réagit Natalia Voloshko, co-directrice du centre éducatif Children of Ukraine, à l’évocation des restrictions d’accès à l’aide de 800 zlotys par mois. Selon elle, c’est un droit acquis pour tous les élèves, car cette aide leur est destinée. » Cette allocation a été mise en place en 2015 lors de l’accession au pouvoir du PiS. L’objectif de ce programme, baptisé « Family 800+ », est d’aider les familles dans leurs dépenses liées à l’éducation de leur enfant, et ainsi favoriser la natalité.

Mais les candidats à l’élection présidentielle comptent modifier les conditions pour y accéder. Le PiS a même déposé une proposition de loi afin de légiférer dès à présent. Ce projet a pour but de restreindre les conditions pour que les migrants, en particulier les Ukrainiens, puissent en bénéficier. L’actuel Premier ministre polonais, Donald Tusk, s’est dit favorable. Parmi les durcissements proposés, ils souhaitent la conditionner au fait que les parents des enfants ukrainiens travaillent et payent des impôts en Pologne. « Conditionner ça au fait de payer des impôts est injuste, car beaucoup de familles sont encore traumatisées et ont des problèmes psychologiques qui les empêchent de travailler », juge Natalia Voloshko. Selon elle, cette aide représente une grande partie des revenus de beaucoup de familles de réfugiés ukrainiens.

« Je ne suis pas certaine que cette mesure soit la meilleure solution, s’inquiète Agnieszka Bugdalska, professeur dans l’école primaire n°12 de Varsovie, nous tout ce qu’on souhaite c’est la meilleure intégration pour les enfants. » Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, beaucoup d’enfants ont foulé les couloirs de cette école, et ce avant la scolarisation obligatoire. Actuellement, ils ont une quarantaine d’élèves étrangers sur quatre cents, essentiellement des Ukrainiens, des Biélorusses et des Russes. 

Les élèves Ukrainiens doivent à présent apprendre à partir du programme scolaire polonais

Avant même que le ministère de l’Éducation ne s’empare de cette problématique, les écoles polonaises se sont organisé chacune à sa manière. À l’école n°12, les programmes ont été adaptés pour les Ukrainiens. « On a mis en place des cours de polonais spécialement pour eux, pour qu’ils puissent apprendre les bases, explique Agnieszka Bugdalska, l’école a embauché des professeurs ukrainiens, et même un psychologue pour les aider à se détendre. » Actuellement, l’école réfléchit à employer un assistant inter-culturel, car les élèves ukrainiens ont du mal à nouer de vrais contacts avec les autres élèves. « Ils restent entre eux, et ils parlent surtout avec les élèves biélorusses et russes », assure Magdalena Mikolajewska, professeur de français dans l’école n°12. Même dans ces amitiés parfois le contexte géopolitique entre leurs pays interfèrent et mènent à des tensions.

« Seulement deux ou trois élèves ukrainiens ont un niveau équivalent à celui des Polonais, analyse l’enseignante de français, parmi ceux qui ont des difficultés, 80 % sont des Ukrainiens ». Cette différence de niveau s’explique de diverses manières. Les programmes ne sont pas les mêmes, bien que les enseignants aient remarqué que le niveau des Ukrainiens soit supérieur en mathématiques.

Les élèves s’intègrent difficilement à cause du conflit. « Beaucoup d’entre eux sont encore traumatisés, et pour beaucoup, ils pensent que leur présence en Pologne est provisoire », explique Magdalena Mikolajewska. Pour beaucoup d’Ukrainiens la guerre n’allait pas durer autant de temps. Certains enfants sont donc persuader de ne pas grandir en Pologne, même si la situation actuelle semble les contredire. « Ni les parents ni les enfants ne savent exactement combien de temps ils vont rester ici à Varsovie. »

Le centre éducatif Children of Ukraine partage ses locaux avec une école de musique, les deux structures ont été crées par Olesya Kovalchuk et Natalia Voloshko. © Noémie Julien
Le centre éducatif Children of Ukraine partage ses locaux avec une école de musique, les deux structures ont été crées par Olesya Kovalchuk et Natalia Voloshko. © Noémie Julien

De son côté, le centre éducatif Children of Ukraine, basé à Marki en périphérie de Varsovie, a ouvert ses portes dans le courant de l’été 2022. L’objectif était de permettre aux enfants ukrainiens de pouvoir suivre leur cursus dans une structure, avec des professeurs qui ont, eux aussi, fuient la guerre. Cela fait déjà un an que cette structure est au courant de rendre le programme scolaire polonais obligatoire. Six mois après la rentrée, c’est « une très bonne idée qu’a eue le gouvernement », estime Natalia Voloshko co-directrice de l’établissement.

Pour s’adapter aux nouvelles normes, ils ont réorganisé la librairie, embaucher des professeurs polonais. Quant au programme, Children of Ukraine a décidé d’incorporer des éléments du programme ukrainien. Ce délai d’un an leur a ainsi permis de faire les ajustements au millimètre afin de ne pas brusquer les élèves et d’assurer une continuité pédagogique. C’est d’ailleurs la première année scolaire où les Ukrainiens en âge d’aller à l’école primaire et secondaire passer les ne passeront pas d’examen de langue polonaise. 

Une mesure qui permet d’assurer une meilleure intégration dans la société polonaise

« Elle assure aux enfants la possibilité de ne se fermer aucune porte pour l’avenir et de pouvoir aller étudier à l’université en ayant les mêmes bases », estime Natalia Voloshko. Elle raconte qu’au début de la guerre en Ukraine, ils pensaient qu’elle se terminerait vite, mais à l’approche de son troisième anniversaire, ils ne savent pas combien de temps elle risque encore de durer ni quand est-ce qu’ils pourront renter en Ukraine. Leur permettre d’apprendre à parler polonais, à avoir les mêmes connaissances est donc une façon d’assurer aux Ukrainiens un avenir. Les séparer des élèves polonais n’était pas, selon elle, la bonne solution car cela limite de fait les interactions entre les enfants.

Le centre éducatif, en coopération avec les autres écoles de Marki, organise des moments d’échanges entre les enfants. Dans cette structure, Natalia Voloshko a aussi développé son école de musique. Au détour d’un couloir, un rythme singulier se fait entendre : celui d’un élève qui joue de la batterie. Avec la branche musicale de l’école, ils ont organisé un concert où les élèves ont chanté avec la chorale de la ville. Une initiative qui permet aux enfants de se mélanger et de nouer de nouvelles amitiés. 

En revanche, Natalia Voloshko pointe du doigt la façon dont sont comptabilisés les enfants ukrainiens. Le gouvernement polonais n’a pas pris en compte les élèves d’ores et déjà scolarisés dans les écoles polonaises et ceux qui suivent leurs cours en ligne. Ces derniers nécessitent une attention particulière de la part du personnel enseignant.

Sur les 220 élèves que compte Children of Ukraine, certains sont arrivés en Pologne en suivant les cours en ligne. « Les cours à distance peuvent être une bonne chose sur une courte période et si les élèves sont bien accompagnés, explique la co-directrice, mais on remarque que chez les élèves qui ont commencé avec des cours en ligne, ils ont des problèmes de communication et ils sont assez agressifs ». Elle estime que ces élèves ont perdu presque une à deux années d’études. Suivre les cours dans une structure comme celle-ci ou dans une école polonaise permet aux enfants de garder un contact avec des personnes de leur âge et leur assure un développement « normal ». 

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