Le Karma Crew : rendez-vous de la communauté biélorusse en exil 

Alors que la Pologne accueille de nombreux Biélorusses en exil, le “Karma Crew” est pour eux un point de rencontre. Ce bar s’est installé sous les arcades du pont Poniatowski, à Varsovie.

Trouver l’entrée du Karma Crew n’est pas facile. Ce bar n’est signalé par aucune enseigne. Seules des guirlandes lumineuses installées sous les arcades du Pont Poniatowski guident les clients vers l’intérieur. Ici, une partie de la communauté biélorusse en exil se retrouve. Ils sont des centaines de milliers à vivre en Pologne. « Pour beaucoup de Biélorusses, ce bar est un endroit important », explique Gleb Kovalev, fondateur du Karma Crew et lui-même exilé biélorusse. C’est un moyen de retrouver des compatriotes.

Gleb Kovalev est le fondateur du Karma Crew. Crédits : VD.

Pour nombre d’entre eux, la Pologne fait partie des destinations privilégiées. « Le bélarusse est très proche du polonais dans la prononciation », explique Vadim Areshnikau, graphic designer biélorusse. En majorité, ses compatriotes prennent la route de l’exil en direction de la Pologne, de la Lituanie, de la Géorgie et de l’Ukraine.

Mais « le marché du travail est plus important en Pologne qu’en Lituanie », ajoute Ronan Hervouet, qui mène actuellement un projet de recherche sur les exilés russes, biélorusses et ukrainiens. Peu partent désormais en Ukraine : « Quand la guerre en Ukraine a commencé, nous sommes devenus d’horribles personnes aux yeux des Ukrainiens, notamment parce que nous avions permis qu’une partie de notre territoire soit utilisé pour l’invasion russe », raconte Gleb Kovalev. C’est notamment depuis la Biélorussie que l’attaque de l’Ukraine a été lancée le 24 février 2022.

Des tableaux aux messages politiques sont exposés dans le bar. Crédits : VD.

Le choix de l’exil

Depuis la répression des manifestations de 2020 en Biélorussie, les départs du pays se sont accélérés. À la tête de la Biélorussie depuis 1994, Alexandre Loukachenko a été réélu pour un sixième mandat à la suite d’une élection contestée. Pendant deux ans, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues pour réclamer le départ de l’autocrate. Les manifestations ont été durement réprimées. En tout, entre 200 000 et 500 000 personnes ont quitté le pays. Certains sont aujourd’hui assis sur les sièges en velours du Karma Crew.

Concentré devant son calepin, Vadim Areshnikau dessine, une bière à la main. Du haut de ses vingt et quelques années, cet artiste a quitté la Biélorussie depuis trois ans. « C’est en avril 2021 que j’ai pris ma décision, il m’a fallu un mois pour tout préparer ». Des amis lui proposent de partir, il les suit. « Je n’avais aucune perspective si je restais », explique-t-il. Impossible d’aborder les raisons exactes de son départ : le jeune homme craint pour la sécurité de ses parents, toujours en Biélorussie. 

Vadim Areshnikau espère un jour vivre de son art. Crédits : VD.

Gleb Kovalev est plus loquace. « J’ai décidé de partir deux jours après les élections de 2020 », raconte-t-il dans l’intimité de la galerie d’art du bar. À l’époque, il tient depuis trois ans un bar du même nom, Karma Crew, à Minsk, capitale de la Biélorussie. Durant l’une des manifestations, environ 60 personnes viennent se réfugier à l’intérieur. Il décide de fermer le bar. « Le rideau métallique de l’entrée était presque entièrement fermé, quand j’ai vu mon collègue tenter de ramper à l’intérieur. Un policier l’a attrapé par les jambes et l’a battu avec une matraque », raconte-t-il sans sourciller. Cette nuit fait l’effet d’un électrochoc : il décide de quitter le pays pour rejoindre la Pologne, puis l’Ukraine, où il ouvre un autre « Karma Crew », avant de venir habiter à Varsovie, amenant le nom de son café avec lui.

Recréer une communauté

Ici, l’ambiance est chaleureuse. Très peu de lumière pénètre à l’intérieur du bar : les vitres sont entièrement recouvertes de stickers. Gleb Kovalev connaît tout le monde. Pour lui, il était important de créer ce lieu pour la communauté à l’étranger. « Quand tu es immigré et que tu viens ici, tu y retrouves tes amis qui peuvent t’aider avec tes papiers ». Il le clame : « Ce n’est pas difficile : nous sommes des immigrés blancs, tout est ouvert à nous ». Même sensation pour Vadim Areshnikau, qui « se sent intégré en Pologne ».

Les vitres du bar sont recouvertes de stickers. Crédits : VD.

La plupart de ces jeunes exilés n’envisagent aucun retour. « J’aimerais revenir en Biélorussie pour visiter » répond Vadim Areshnikau, entre deux coups de craies grasses sur son dessin. Secrètement, il cultive un rêve : pouvoir acheter une petite maison à ses parents en Espagne ou en France. « Par exemple à Narbonne, j’aime beaucoup cet endroit », ajoute-t-il, disant y avoir rencontré l’acteur et réalisateur Pierre Richard. Quant à Gleb Kovalev, il espère que sa sœur viendra à Varsovie cette année.

Les échanges avec la Biélorussie sont constants. Dès le premier jour de la guerre en Ukraine, le bar lance une cagnotte pour aider les soldats biélorusses qui combattent en Ukraine. La nuit de son lancement, environ 3000 euros sont récoltés. Aujourd’hui, le fonds s’élève à 290 zlotys, soit environ 68 euros.

Malgré la réélection d’Alexandre Loukachenko au poste de président dimanche 26 janvier, aucune nouvelle vague d’émigration n’est attendue en Pologne. « Les actions de mobilisations contre les élections étaient quasi impossibles à mener, et le régime continue de pourchasser ceux de 2020 », décrypte Ronan Hervouet. La raison principale du départ des biélorusses est la répression, selon l’ONG Viasna. Début février 2025, 1245 personnes sont encore détenus par le régime autoritaire de Minsk, au titre de leur participation à des manifestations contre le régime de Loukachenko.

Elisa Robuchon

Laisser un commentaire