La clinique Federa face aux restrictions sur l’avortement, un refuge médical pour les femmes

En Pologne, où l’accès à l’avortement est extrêmement limité, la fondation polonaise Federa à ouvert un centre de santé, en septembre 2024. Son objectif ? Permettre à des femmes d’obtenir un accompagnement gynécologique et psychologique sécurisé et les conseiller sur l’accès à l’IVG et à la contraception.

C’est au croisement de la rue Swietokrzyska, l’une des plus passantes de Varsovie, que le centre de santé de l’organisation non-gouvernementale polonaise Federa a posé ses valises. Seul un néon bleu permet de déceler l’entrée de l’établissement privé au milieu des murs grisâtres.

Ouverte depuis septembre 2024, la clinique a pour objectif principal d’apporter « de l’aide et des soins à toutes. Le centre est accessible aux femmes de couleur, aux réfugiées, aux LGBTQIA+ ou encore aux femmes en situation de handicap », décrit Antonina Lewandowska, coordinatrice nationale de défense des droits de Federa. À l’intérieur, chaque détail a été réfléchi en ce sens. Le rose poudré mêlé au bleu nuit des murs et du mobilier rappellent l’ambiance d’un café moderne et douillet. Seuls les prospectus d’information sur la santé sexuelle font écho, dans l’entrée, à la vocation du lieu.

Au rez-de-chaussée, la salle de consultation gynécologique est à la pointe de la technologie. « Certains équipements comme le réfrigérateur médical ou encore l’échographe peuvent valoir jusqu’à plusieurs centaines de milliers zlotis (monnaie polonaise) », insiste Antonina Lewandowska. Car, dans le centre, trois gynécologues se partagent le travail dont deux sont habilités pour l’échographie prénatale qui permet d’observer le développement de l’enfant à naître ou la formation d’anomalies pendant la grossesse. Examen gynécologique prénatal, post-natal, dépistage d’infection sexuellement transmissible ou simple échange sur la contraception ou l’avortement, les domaines d’action sont vastes.

Pour Federa, la présence de ces gynécologues est indispensable. « En Pologne, de nombreuses femmes subissent des violences obstétriques ou gynécologiques pendant leur vie », insiste la coordinatrice nationale de défense des droits. Résultat ? Ces femmes ne consultent plus. Ce fut le cas de la belle-mère d’Antonina Lewandowska. A l’ouverture du centre, elle se laisse convaincre et va consulter. La sentence tombe : elle est malade. Ce rendez-vous lui aura permis de l’apprendre et de se faire opérer. « Maintenant, elle est guérie ».

Un bâtiment qui favorise l’inclusion

A l’étage, les salles dédiées aux suivis psychologiques se succèdent. Les portes sont larges, suffisamment pour permettre le passage de fauteuils roulants. A l’intérieur, la lumière est tamisée et le plafond recouvert de planches de bois pour permettre d’insonoriser la pièce et de créer une ambiance sonore apaisante. « L’une de nos collaboratrices est atteinte d’un trouble autistique. C’est elle qui a pensé à ces détails pour rendre les salles accessibles et agréables pour le plus grand nombre. C’est une manière de favoriser l’inclusion », explique la coordinatrice nationale de défense des droits.

Pour le moment, l’équipe du centre Federa est composée d’un seul psychiatre qui doit prochainement être rejoint par un collègue. Elle réfléchit aussi à installer des psychologues spécialisés en traumatisme. De quoi permettre de prendre en charge les femmes en difficulté psychologique, mais aussi celles auxquelles l’équipe médicale apprend parfois de mauvaises nouvelles, comme la contraction d’une maladie.

Dans une pièce, à la vue panoramique, retranchée au fond du couloir, des préservatifs en libre-service trônent sur les tables au côté de documentations. L’équipe de Federa y organise des ateliers d’éducation sexuelle, d’autodéfense ou visant à aider le dialogue entre parents et adolescents.

Si le centre médical apporte un suivi gynécologique et psychologique aux femmes qu’il accueille de manière légale, les conseils dispensés sur l’accès à l’avortement ou à la contraception peuvent eux être mal-vu. En près de cinq mois d’ouverture, le centre a déjà subi les affres de campagnes publicitaires anti-avortement. « A plusieurs reprises, de bus ou voitures floqués de messages anti-avortements ont circulé autour du quartier en criant des slogans du même ordre dans un mégaphone », regrette Antonina Lewandowska. Car, si en Pologne, avorter n’est pas un délit l’assistance ou la pratique de l’IVG le sont. Seules deux exceptions persistent : si la grossesse est le résultat d’une infraction ou si l’accouchement menace la santé ou la vie de la femme enceinte, alors l’avortement sera autorisé jusqu’à douze semaines de grossesses. Une situation confirmée, en juillet 2024, après que le parlement a rejeté un projet de loi prévoyant de mettre fin à la criminalisation de l’aide à l’avortement.

Si auparavant une femme pouvait brandir le motif d’une malformation grave et irréversible du foetus ou une maladie incurable menaçant sa vie, une décision de la Cour constitutionnelle de Pologne l’a supprimé. D’après l’organisation Amnesty international, ce motif représentant pourtant plus de 90% des quelques 1.000 avortements légaux par an en Pologne. « Lorsque la nouvelle est tombée, mon téléphone a sonné. Une femme en larmes m’appelait pour m’expliquer qu’elle avait un rendez-vous pour avorter le lendemain, mais qu’elle ne souhaitait plus s’y rendre. Ensuite, le téléphone n’a pas arrêté de sonner », décrit Antonina Lewandowska avant de poursuivre : « Nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas rester les bras croisés. »

La santé mentale comme levier d’accès à l’avortement

Avec le début de la guerre en Ukraine et l’arrivée des réfugiés en Pologne, la problématique a pris une autre tournure. « Nous avons reçu de nombreux témoignages de femmes qui avaient subi des viols de la part de soldats russes et qui souhaitaient avorter. Si sur le papier, c’est autorisé, dans les faits, prouver cette agression dans le temps imparti est quasi impossible. L’exception de l’infraction n’est donc presque jamais retenue. Il nous fallait trouver une solution », narre Antonina Lewandowska.

C’est alors sur la menace de la santé de la femme enceinte qu’ils décident de s’appuyer, et notamment sur la santé mentale. « Les psychiatres attestent de risques psychologiques futurs ou présents pour justifier le recours à un avortement pour certaines femmes », décrit-elle.

Bien que payant, les rendez-vous restent en deçà du prix du marché et assurent à ces femmes un suivi en toute sécurité et confiance. Résultat ? La formule a du succès. En moyenne, 70 femmes passent la porte du centre médicale chaque semaine. Et elles sont de plus en plus nombreuses. « Au départ, il y a eu un peu de réticence. Mais le bouche-à-oreille fonctionne. Les soins apportés convainquent nos patientes, elles reviennent et conseillent à leurs proches de venir. »

Pourtant, il n’est pas encore question d’ouvrir un centre de santé similaire dans une autre ville. « Nous sommes une organisation non-gouvernementale. Nous n’avons pas beaucoup de fonds et survivons grâce à des donations. Nous sommes en constante demande. », précise Antonina Lewandowska, avant de poursuivre : « Notre vocation, c’est de prouver que cela peut fonctionner. Maintenant, c’est à eux (les politiques) de prendre le relais. »

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