Comment Kazimerz, le quartier juif de Cracovie, est devenu le rendez-vous des artistes polonais

Longtemps délaissé et mal considéré pour ses bâtiments vétustes, l’ancien quartier juif de Kazimierz, à Cracovie, s’est transformé pour devenir un lieu fréquenté par les artistes et les touristes. Son image s’est transformée, notamment grâce à la création d’un festival de la culture juive qui rayonne au-delà de la Pologne.

Chaque dimanche soir, c’est la même chose. Quand la nuit tombe, les artistes se réveillent. On peut s’en rendre compte lorsqu’on rentre à Piekny Pies, un petit bar au coeur de Kazimierz, l’ancien quartier juif de Cracovie. Difficile d’imaginer qu’au sous-sol, dans une grande salle discrète, une dizaine de poètes se réunit alors.  Placés en cercle, où assis à même le sol, ils vont passer plus de deux heures à jouer avec les mots, ou écouter. À l’étage, la musique et le brouhaha dominent. La jeunesse cracovienne est de sortie, tout comme les touristes qui affluent. 

Derrière le comptoir, Mateusz Tybel s’impatiente. Le barman termine dans trente minutes et n’attend qu’une chose : rejoindre ses amis poètes au sous-sol. « Ces soirées, c’est vraiment cool parce que, c’est vraiment inclusif, tout le monde peut y participer, on peut chanter, danser, il y a une ambiance spéciale ». 

À 23 ans, cet étudiant a commencé à écrire de la poésie par hasard, il y a deux ans : « J’avais une sorte de curiosité pour les mots. Un jour, j’ai raconté un de mes rêves par écrit à mon ami. C’était une phrase qui était assez étrange. Puis j’ai écrit d’autres phrases et ce fût mon premier poème ». 

Mateusz Tybel pratique la poésie depuis plus de 2 ans. Crédit : Mohamed Sadat

Celui qui rêve d’une carrière à la Wojciech Bakowski, le musicien et poête polonais qui est le héros de sa génération, se considère comme un « outsider » dans ce cercle, même si l’art rythme sa vie chaque jour. « je n’écris pas sur des sujets particuliers, j’écris sur des éléments du quotidien, dès qu’une idée me passe par la tête, je la note sur mon téléphone, c’est très aléatoire, je peux écrire en étant dehors, dans le métro, ou même au bar quand je m’ennuie ». 

Si Mateusz est arrivé à Kazimierz un peu par hasard, il se sent bien dans l’athmosphère un peu bohème de ce quartier propice à la pratique de l’art. « Pour être honnête, j’ai d’abord choisi Kazimierz pour des raisons économiques. J’y ai trouvé un appartement pas cher dans un immeuble abandonné. Mais c’est vrai que c’est un endroit cool, il y a beaucoup de galeries, de créativité ». 

De nombreux tags recouvrent les bâtiments à Kazimierz. Crédit : Mohamed Sadat

Comme Mateusz, Emilia.D, une jeune créatrice de bijoux, s’est installé à Kazimierz pour des raisons économiques. « C’est un endroit touristique. Il y a beaucoup de boutiques occupées par des créateurs de bijoux et des peintres ».  Si le quartier attire, c’est parce qu’il permet de s’exposer.

« Kazimierz est le spot le plus populaire pour les artistes, car il y a de nombreux endroits où tu peux vendre tes oeuvres, de nombreuses galeries ». 

Les artistes attirent les touristes qui eux-mêmes permettent aux artistes de gagner de l’argent, comme l’explique Émilia « Dans ma boutique, 90 % des clients sont des touristes. Il y a des Américains, des Japonais, des Français. Pour les Polonais, l’art est trop cher ».  

Emilia.D dans sa boutique de souvenirs. Crédit : Mohamed Sadat

La bascule, les débuts du festival de culture juive

Si Kazimierz est aujourd’hui un lieu prisé des visiteurs, cela n’a pas toujours été le cas. Au milieu des tags et des nombreux bars du quartier, on trouve les vestiges de « l’ancien Kazimierz », celui qui avait mauvaise réputation. En longeant les rues, on finit par trouver la fameuse rue Josefa et le Cheder cafe. Le lieu est un incontournable de Kazimierz et un des principaux endroits où se tient le festival de la culture juive. 

De nombreux bâtiments du quartier juif n’ont pas encore été rénovés. Crédit : Mohamed Sadat

J’y rencontre Michal Dziewit, manageur bénévole pour ce festival. Autour d’un café aromatisé, il me raconte l’histoire du quartier et l’origine de cette manifestation. 

« Après La Seconde Guerre Mondiale, le nouveau gouvernement a utilisé Kazimierz pour loger les personnes en marge de la société. C’est à cause de cela que le quartier était considéré comme pauvre et mal famé. Aujourd’hui, la plupart des bâtiments ont été rénovés. Mais beaucoup d’entre eux étaient délabrés ou tombaient en ruine ». 

 C’est le moment où Janusz Makuch et Krzysztof Gierat ont décidé d’y créer le festival de la culture juive, en 1988. « Le festival a servi à rappeler comment les choses se passaient au temps où de nombreux juifs polonais vivaient dans ce quartier, et à présenter la culture juive contemporaine sous différents aspects, de la musique aux arts visuels, en passant par la philosophie ». 

Très vite, le festival est devenu connu au-delà des frontières polonaises. Il réunit « entre 20 000 et 30 000 spectateurs » lors des meilleures éditions. « Le festival a donné un coup de pouce à l’image du quartier et cela a aidé à améliorer sa réputation. Les gens se sont rendu compte que des événements intéressants se déroulaient ici, que des artistes venaient, des touristes aussi. Cela a stimulé le développement, la création d’hôtels, de restaurants, de bars ». 

Le Cheder cafe est un lieu incontournable à Kazimierz. Crédit : Mohamed Sadat

Ce renouveau n’est pas forcément au goût de Michal. « Kazimierz sert maintenant de centre festif de Cracovie et c’est assez malheureux parce que c’est un quartier avec une histoire riche. Or les gens qui viennent ici oublient souvent qu’il a abrité des milliers de personnes et leurs vies ». Quelques synagogues rappellent l’ancienne présence juive. Elles voisinent avec les galeries qui en font un eldorado pour les artistes.

Mais comme Émilia et Mateusz, très peu d’entre eux parviennent à vivre de leur art. « Tout le monde a besoin de faire autre chose. Moi, je travaille comme vendeuse dans une boutique. Mais ce n’est pas la mienne. Donc je ne peux pas y vendre mes créations. Financièrement, être artiste ça reste le pire travail en Pologne… ». 

Mohamed Sadat

Laisser un commentaire