Entre blessures et nostalgie, la trace du communisme polonais

Existe-t-il des nostalgiques de la période communiste en Pologne ? Dans les urnes, cette force politique a quasiment disparu. Mais 35 ans après la chute du régime, certains nourrissent quelques regrets. À Varsovie, un musée retrace le quotidien des Polonais de l’époque.

Du mobilier, des vêtements, des jouets et même de la nourriture : ici, chaque détail rappelle la Pologne passée. Au Musée de la vie sous le communisme de Varsovie, le quotidien de l’époque, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à 1989, est raconté à travers des objets. Né de l’initiative d’un couple de guides varsoviens, le projet était au départ une simple collection dans un garage. Cela s’est transformé en une petite exposition, avant de devenir officiellement un musée en 2018. 

L’exposition est jalonnée de rappels historiques. Mais son ambition est toute autre. « Ce n’est pas un musée historique. Le but est avant tout d’évoquer le quotidien », explique Jacek Picachwski, directeur du musée. Une véritable capsule temporelle, qui fonctionne grâce à une centaine d’objets de l’époque.

David, 39 ans, déambule dans les allées du musée. Il ne conserve de cette époque que de vagues images. Mais une chose lui paraît évidente : il ne voudrait jamais voir revenir un tel régime. « C’est une sombre période dans l’histoire que beaucoup de gens voudraient oublier. J’étais trop petit pour m’en rappeler. Mais mes parents ont énormément souffert », confie-t-il.

Ce mardi de vacances scolaires, il a choisi d’emmener son fils de neuf ans, qui découvre avec surprise la collection. « Les enfants d’aujourd’hui ne peuvent pas s’imaginer comment vivaient les gens à cette époque. Acheter une voiture était réservé à quelques-uns et il était quasiment impossible de se procurer certains choses », explique le père de famille.

Sous la Pologne communiste, il était rare d’avoir les moyens d’acheter une voiture. Ce modèle emblématique, la Fiat Polski 126P, coûtait le prix de 25 fois le salaire moyen polonais. Crédit : Marie Scagni

Des souvenirs nuancés du quotidien communiste

Les pénuries et les files d’attente faisaient partie du quotidien. « Nous n’avions presque rien. Les rayons des magasins étaient vides, même des choses banales comme du savon ou du papier toilette étaient difficiles à trouver », se rappelle Dominika Werner, 52 ans. Pourtant, face aux emballages de gaufrettes et aux jouets d’antan, elle ne peut s’empêcher de ressentir une certaine nostalgie. « Quand je suis ici, j’ai l’impression de me retrouver chez moi, il y a 40 ans », confie-t-elle avec un sourire. Passionnée d’histoire, elle est devenue guide dans ce musée.

Tout en critiquant la nature autoritaire du régime, Dominika admet regretter certains aspects de cette époque. « Nous n’étions pas libres, nous ne pouvions pas penser par nous-mêmes. Mais pour une personne non-politisée et de classe populaire, la vie pouvait parfois être meilleure. Beaucoup de choses étaient gratuites, comme les colonies de vacances pour les enfants », explique-t-elle. Une autre chose lui manque : « Il y avait de meilleures relations entre les gens, beaucoup d’entraide, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ». Yolanda*, serveuse dans le café du musée, acquiesce : « les temps étaient durs, donc il fallait se débrouiller. »

Karina Lifvack, Canadienne de 66 ans, a profité d’un voyage professionnel pour visiter l’exposition. Elle écoute attentivement les souvenirs partagés par les deux femmes. Cette page d’Histoire l’intéresse. « À chaque fois que je visite un pays post-communiste, je ne manque jamais une occasion de visiter des lieux en rapport avec le passé », affirme-t-elle. Cette exposition a une résonance toute particulière, en raison de son histoire familiale. « Mon grand-père était Polonais et a fui les persécutions », raconte-t-elle, émue.

La mémoire du totalitarisme toujours présente

À cette époque, la liberté d’expression était quasi-inexistante et toute opposition était réprimée, d’autant plus après l’instauration de la loi martiale, en 1981. Piotr Ikonowicz, 68 ans, en a fait personnellement les frais. Ex-député polonais de 1993 à 2001, il est aujourd’hui l’un des dirigeants de la Nouvelle Gauche, un parti social-démocrate. Au début de sa carrière politique, il a farouchement lutté contre l’autoritarisme du régime communisme et ses abus.

Cet engagement lui a coûté cher : dans les années 1980, il a été emprisonné à deux reprises pour ses activités politiques. « Je suis profondément socialiste, mais je n’ai jamais cru que de vrais communistes pouvaient tuer des ouvriers en grève comme l’a fait ce régime. Pour moi, ce n’est pas ça, le communisme », affirme-t-il, en évoquant les violentes répressions de mouvements de grève. Il précise toutefois n’avoir jamais été « fondamentalement anti-communiste ». Il partageait même certaines idées avec eux, mais n’approuvait pas l’organisation du pouvoir.

Aujourd’hui, en Pologne, le communisme a quasiment disparu. Le Parti communiste polonais (KPP), le seul qui se revendique comme l’héritier idéologique de l’ancien régime, ne compte que quelques centaines d’adhérents. Trop marginal pour peser. Il ne présente aucun candidat aux élections législatives.

« Être communiste dans la Pologne d’aujourd’hui est mal perçu. Pour beaucoup de gens, le communisme n’est pas seulement une idéologie, mais avant tout un passé douloureux », explique Eleonora Kirwiel, docteure en sciences politiques à l’Université Maria Curie-Sklodowska de Lublin. La mémoire collective a associé ce régime à la pauvreté et la répression. « Pendant des années, la Pologne a construit son identité sur le rejet de ce système. Dans la majorité de la société c’est un sujet clos, et toute tentative de « retour » à ces idées suscite une forte opposition », analyse-t-elle.

Même une gauche plus modérée peine à exister. Dans la perspective des élections parlementaires de 2019, Lewica, une coalition regroupant quatre formations de gauche (Nouvelle Gauche, La Gauche Ensemble, le Parti socialiste polonais et l’Union du travail) a été crée. Elle a obtenu 12,56 % des suffrages. En 2023, ce n’était plus que 8,61 %. Juste assez pour entrer au Parlement, le seuil d’éligibilité pour les coalitions étant fixé à 8 %. « La gauche est vue positivement par une petite partie de la société, car elle est associée à l’héritage du communisme. Et ce, même si ces partis de gauche ne se revendiquent pas comme communistes », souligne Eleonora Kirwiel. Mais en dehors de cette petite fraction de l’électorat, l’étiquette de gauche ne fait pas recette.

Marie Scagni

* Le prénom a été modifié.

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