En Pologne, un procès inédit d’activistes jugés pour avoir aidé des migrants en détresse

Le procès des cinq activistes poursuivis pour avoir facilité le séjour d’étrangers en situation irrégulière sur le territoire polonais s’est ouvert mardi 28 janvier à Hajnowka.

Il n’est pas encore 10h ce mardi 28 janvier quand un groupe d’une dizaine de personnes commence à s’installer devant les portes du tribunal de Hajnowka. Cette petite ville, à l’est de la Pologne, est située à quelques kilomètres de la frontière avec la Biélorussie. 

Le groupe attend avec impatience les cinq activistes dont le procès commence ce mardi. Quatre d’entre eux sont accusés d’être venus en aide à des étrangers en situation irrégulière et le dernier d’avoir fourni de la nourriture et des vêtements à ces personnes pendant qu’elles étaient dans la forêt de Bialowieza. 

Au fil de la matinée, une centaine de personnes affluent et s’organisent pour montrer leur soutien aux accusés. Plusieurs personnes tendent des bâches avec le même slogan «Les barbelés du mur tuent des personnes et la nature». Dorota, une franco-polonaise d’une quarantaine d’années a spécialement fait le voyage depuis Varsovie pour montrer son soutien. « C’est la première fois qu’un tel procès a lieu en Pologne, d’habitude les autorités mettent des amendes, mais ne vont pas jusqu’au procès pénal», souligne-t-elle, bien emmitouflée, prête à rester plusieurs heures. 

Dorota fait partie du Groupe Frontières, un réseau d’associations et de particuliers qui s’organisent depuis août 2020 pour coordonner les aides apportées aux migrants. Particulièrement actif à la frontière biélorusse, ce collectif vient en aide aux réfugiés qui se retrouvent coincés dans la dense forêt de Bialowieza. Comme en mars 2022,  où les cinq accusés ont aidé une famille irakienne de sept personnes et un Égyptien. Ils les ont transportés dans leurs voitures et l’un d’eux leur a fourni de l’eau, un abri et des vêtements chauds. 

Cette région cristallise la stratégie de déstabilisation de l’Union européenne par la Biélorussie. À la suite des sanctions européennes contre la Biélorussie dû à la réélection contestée de Loukachenko en 2020, Minsk est accusé d’avoir facilité l’arrivée de migrants du Moyen-Orient et d’Afrique noire. Une fois arrivés en Biélorussie, les migrants seraient escortés jusqu’aux frontières polonaises, lituaniennes et lettonnes.

Dorota précise qu’en réponse à cette stratégie, la Pologne a construit en 2022 un mur traversant la forêt de Bialowieza, séparant désormais physiquement les deux pays et surtout rendant plus dangereuse la traversée de la frontière pour les migrants.

Un mur de cinq mètres de haut a été construit entre le Pologne et la Biélorussie pour limiter le flux de migrants.

Devant les portes du tribunal, les manifestants continuent d’arriver, ils s’enlacent, contents de se retrouver et de défendre leur droit à venir en aide aux migrants dans le besoin. 

En attendant que les accusés fassent leur entrée dans la salle d’audience, Michal Suchora, porte-parole du parti des Verts, mégaphone en main, rappelle que depuis le début de la crise « 138 corps ont déjà été retrouvés et plus de 200 personnes en déplacement sont considérées comme disparues» Il assure « une solidarité inarrêtable envers les migrants qui traversent la forêt et tentent de rejoindre l’union européenne avec pour espoir une vie meilleure.»

Aider n’est pas illégal 

Postés à côté d’un drapeau anarchiste, deux manifestants déploient une banderole « Aider n’est pas illégal». Ce slogan scandé par la foule illustre l’incompréhension générale des chefs d’accusations des cinq. Irène et Piotr, la vingtaine, partagent leur incompréhension « ces personnes qui sont en procès aujourd’hui  le sont parce qu’elles ont été solidaires, et ça, ça ne pourra jamais être quelque chose de mal.» Michal Suchora, porte-parole du parti des Verts, est du même avis: «quand on n’aide pas quelqu’un qui vient d’avoir un accident on peut être accusé de non-assistance à personne en danger, c’est la même chose pour les migrants, on doit les aider, ils sont dans le besoin.»  

Des manifestants tiennent une banderole  » Vous ne marcherez jamais seul » pour montrer que malgré le procès ils aideront toujours les migrants.

L’inquiétude face à la militarisation du mur

Pour Piotr qui vit dans un village à quelques kilomètres de la forêt de Bialowieza, la militarisation du mur avec l’installation de checkpoints réguliers, de caméras de surveillances, de barbelés est «irrespectueux pour les personnes qui vivent dans cette région, c’est comme si ton propre pays t’envahit et t’abandonne.»

Annoncé en mai 2024 par le gouvernement de Donald Tusk, le projet Tarcza Wschod, (Bouclier de l’Est), a pour objectif de rendre la frontière «imperméable» selon un document de l’Institut français des relations internationales. 

Cet objectif s’inscrit dans une volonté du gouvernement polonais de durcir sa politique migratoire depuis les élections législatives d’automne 2023. Dorota, engagé depuis le début de la crise migratoire confirme que «depuis la militarisation du mur, on retrouve de moins en moins de migrants, ils ont peur d’emprunter cette route.»  Les migrants sont les premiers à être touchés par ce durcissement de la législation, entre fossés antichars, barbelés, surveillance militaire et mines, la traversée devient un piège mortel. 

Vers une jurisprudence ? 

Vers onze heures, la foule se précipite vers les marches du palais de justice pour applaudir les quatres accusés, trois femmes et un homme, présents lors du procès. Accompagnés de leurs avocats, ils s’enfoncent dans le palais de justice suivi par la foule venue les soutenir. Au vu du nombre de personnes présentes, le président de la Cour est obligé de restreindre l’accès à la salle d’audience. Il n’autorise que les proches des accusés, leurs avocats et quelques médias à pénétrer dans la petite salle austère. Il préside seul, séparé du public par une vitre, reste de la pandémie.

Assis côte à côte sur un banc en bois derrières leurs avocats, les accusés ont chacun devant eux le texte qu’ils ont prévu de lire avant le début de l’audience.

Cheveux oranges et tenue austère, Ewa Moroz-Keczynska, est la première à se lancer. C’est elle qui connaît le mieux la forêt de Bialowieza puisqu’elle y a travaillé comme conservatrice.  Émue, elle se lève et confie que «je suis confrontée au tribunal parce que j’ai aidé quelqu’un. (…) L’expérience de notre histoire nous a appris que certaines valeurs n’étaient pas censées être violées et qu’à partir du  moment où la compassion s’arrête, c’est le début de la fin.» 

Les quatres accusés encourent une peine de trois à cinq mois de prison ferme. Les personnes venues les soutenir s’inquiètent de l’exemple que pourrait donner ce procès à d’autres tribunaux polonais. Prochain rendez-vous de leur parcours judiciaire : les accusés seront à nouveau auditionnés au printemps.

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