En Pologne, la lutte anti smog a du plomb dans l’aile

La Pologne, régulièrement victime du brouillard lié à la pollution, a mis en pause son programme « Air pur » en novembre 2024. À l’échelle nationale, il a pourtant permis de réduire la teneur en particules fines dans l’air de plus d’un tiers en huit ans.

Cela pourrait être inquiétant à bien des égards. Cette année, l’hiver polonais est largement au-dessus des moyennes de saison. Alors que les températures tendent normalement vers le négatif, elles sont cette année régulièrement au-dessus de zéro (et atteignent parfois les 10°C), même la nuit. Mais en plus de diminuer les factures de chauffage, l’air doux de l’hiver permet également de limiter le smog.

Dans ce pays normalement marqué par le froid, 50 % des maisons individuelles se chauffent encore au charbon l’hiver venu. Ces foyers, appelés « smokers », en brûlent ainsi près de 6 millions de tonnes par an. Et, lorsque le vent ne souffle pas, les particules rejetées dans l’air s’accumulent et forment alors cet épais nuage toxique reconnaissable à son odeur âcre. La Pologne fait partie des pays européens les plus touchés par le smog : les villes de Nowy Sącz (au sud de Cracovie) et de Piotrków Trybunalski (au sud de Lodz) sont respectivement les deuxièmes et troisièmes villes qui enregistrent la plus forte concentration de particules fines, selon l’Agence européenne de l’environnement. Entre 40 et 45 000 Polonais meurent tous les ans de maladie liées à la pollution de l’air. Ce chiffre diminue année après année, mais reste similaire à celui de la France, qui compte pourtant deux fois plus d’habitants. 

La lutte contre le smog a été un axe central de la politique énergétique polonaise ces dix dernières années. En novembre 2024 pourtant, le gouvernement de Donald Tusk a suspendu, de manière inattendue, le programme Air Pur, mis en place en 2018, invoquant la nécessité d’une refonte approfondie, après six ans de fonctionnement.

Des subventions pour changer de chauffage

Lancé par le Fonds national pour la protection de l’environnement et la gestion de l’eau, le programme Air Pur, accessible à tous, avait pourtant été plébiscité par les polonais. Il les a aidé, entre autres, à financer le remplacement de leurs chauffages au charbon par des systèmes plus propres, comme des pompes à chaleur, et à isoler leurs habitations. Chaque année, le nombre de souscriptions n’a cessé d’augmenter, passant de 25 519 en 2018 à 223 305 l’an dernier. 

Cette décision brutale a marqué un coup d’arrêt dans la lutte contre la pollution de l’air, mais répondait à des impératifs économiques, selon Piotr Wroblewski, journaliste spécialisé dans les questions liées à l’énergie. “Avec ce programme, il y a eu de nombreuses entreprises spécialisées qui ont fait des profits indus en augmentant les prix de façon démesurée. La priorité du gouvernement, c’était de changer la réglementation pour éviter ce genre d’abus.

Ce n’est pas vrai, conteste Piotr Siergiej, de l’ONG Polski Alarm Smogowy. Ce n’est qu’une partie du problème. Nous pensons que le gouvernement a rencontré un problème d’organisation et de financement, car les gens ont massivement fait appel à ces aides.”

Bien que coûteux pour les finances publiques, le programme avait permis à la Pologne de progresser à vive allure ces dernières années, en matière de gestion de la pollution de l’air. “Si quelqu’un était venu ici il y a sept ans, il aurait vu des chiffres environ quinze fois supérieurs aux limites légales. La pollution de l’air était similaire à celle de New Delhi, en Inde”, explique Piotr Siergiej. En dix ans, entre 2013 et 2023, les relevés effectués par l’Agence européenne de l’environnement montrent une baisse de particules PM10 (dont le diamètre est inférieur à 10 micromètres) dans l’air de plus de 30 % à l’échelle nationale, et de 40 % pour les particules PM2,5 (inférieures à 2,5 micromètres). Par endroits, la diminution atteint même 50 %.

Vers la disparition des smokers à Varsovie

Contrairement à l’Inde, où le smog est principalement lié aux particules fines PM2,5 issues du trafic routier et des industries, la pollution en Pologne provient en grande partie des particules PM10, majoritairement émises par le chauffage au charbon des habitations. Plus abondantes, l’alerte au smog n’est déclenché que quand la concentration de PM10 dépasse 300 microgrammes par mètre cube. En France, l’alerte se déclenche lorsque la concentration dépasse 80 microgrammes.

Avec le dérèglement climatique, les hivers polonais sont moins froids, diminuant l’apparition du smog. Mais cela ne l’empêche pas de faire des retours parfois fracassants. Le 22 janvier dernier par exemple, les capteurs se sont affolés à Varsovie, révélant des teneurs en PM2,5 et PM10 trois fois supérieures à la limite autorisée. “Il faut regarder ce que font les gens, explique Piotr Siergiej. La nuit, il ne fait pas plus de quatre degrés, ce qui reste relativement froid. Ce n’est pas aussi extrême que moins dix degrés, vous ne brûlez donc que vingt kilogrammes de charbon plutôt que cinquante et la quantité de fumée sera plus petite. Mais cela suffit pour dépasser les limites autorisées s’il n’y a pas de vent pour brasser l’air.”

Pour autant, le programme Air pur a prouvé son efficacité : à Cracovie, le nombre de « smokers » est passé de 35 000 en 2018 à une centaine aujourd’hui. Les experts estiment qu’il en reste entre 1 500 et 2 000 à Varsovie.“Je pense que dans deux ans, il n’y en aura plus ”, estime Piotr Siergiej.

Selon le gouvernement polonais, le programme Air Pur sera relancé à partir du 1er avril prochain. Mais pour l’heure, les nouvelles conditions ne sont pas encore connues.

Romain Tible

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