De cité ouvrière à spot touristique, la transformation de Nowa Huta ancienne vitrine de l’URSS
Sortie de terre en 1949 comme une vitrine du communisme, Nowa Huta devait incarner l’idéal ouvrier voulu par Staline. Mais 75 ans plus tard, ce quartier de Cracovie a tourné la page et trouve un nouveau souffle dans le tourisme depuis quelques années.
Au premier regard, rien n’a changé depuis l’ère soviétique à Nowa Huta. Une place centrale prolongée par trois longues avenues bordées de barres d’immeubles à perte de vue. Une architecture typique du réalisme soviétique pour loger 300.000 habitants. Le tout avec très peu de commerces hormis sur la place centrale.
Puis, quelques détails attirent l’œil. Le nom des rues. La place centrale a été renommée en place Ronald Reagan. L’avenue Lénine est devenue l’avenue Solidarnosc, du nom du syndicat qui a joué un rôle clé dans l’opposition au régime communiste. « Les autorités veulent supprimer toutes les traces du communisme », explique Pawel Kozlowski, un habitant du quartier né à Nowa Huta à la fin des années 1960. Plus rien ne laisse penser au passé communiste de ce quartier de Cracovie qui faisait pourtant la fierté de Joseph Staline dans l’après-guerre.
« Nowa Huta est un endroit de plus en plus attrayant pour vivre »
La transformation de ce quartier en fait un musée à ciel ouvert. Les touristes se multiplient pour découvrir ce qu’était une ville à l’époque de l’URSS. Il y a dix ans, un visiteur n’aurait pas eu grand-chose à faire. Mais Nowa Huta a su tirer parti de son héritage communiste. « Les jeunes Polonais n’ont aucune idée de ce à quoi ressemblait la vie sous l’ère communiste », analyse les bénévoles de la Fondation Nowa Huta, l’office du tourisme local. « Entrer dans Nowa Huta c’est comme entrer dans le monde de leurs parents et grands-parents », poursuivent-ils. La ville offre un instantané du communisme tel qu’il était autrefois. Il faut désormais ajouter à ce cadre soviétique des petites animations comme des camions à pizzas qui sillonnent les rues.
Au-delà du tourisme, c’est tout un quartier qui se transforme pour la population locale. « Nowa Huta est un endroit de plus en plus attrayant pour vivre », affirme Kamil. Ce trentenaire s’est installé en 2018 à Nowa Huta. Si la réputation du quartier le freinait au début, la transformation du quartier a fini de le convaincre. Des loyers assez peu élevés comparés à ceux du centre de Cracovie, des espaces verts et une large offre de transports : ce sont les avantages du quartier mis en avant.

Un mode de consommation occidentalisé
Dans le Nowa Huta contemporain, seuls les bâtiments témoignent du passé communiste. En dehors, tout est refait. Les autorités avaient construit le « Club de la Presse ». Un espace culturel situé sur la place centrale où les habitants pouvaient retrouver une libraire, de la presse internationale. Le Monde, Paris Match ouvraient entre-autres le regard des Polonais sur le monde à l’Ouest et la France. Mais les produits vendus restaient extrêmement contrôlés par les autorités soviétiques. « Lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’URSS en 1968, tous les journaux occidentaux ont disparu », se remémore Pawel Kozlowski, la cigarette au bout des doigts et le regard mélancolique vers les murs gris de la boutique. Désormais, les livres à la gloire de l’Union soviétique ont disparu au profit des bouteilles de Coca Cola et autres produits américains. Seuls subsistent les portes en ferrailles et les candélabres au plafond. Un subtil mélange entre réalisme soviétique et capitalisme américain.
Un seul commerce a survécu aux changements de régime politique et économique sur les 65 kilomètres carrés que compte Nowa Huta. La boutique Cefelix n’a pas bougé depuis 1954 et son installation sur la place centrale. La décoration est identique, les étagères sont d’origine. Mais encore une fois, il a fallu adapter la marchandise aux besoin de la population. Les épaisses couvertures en laine indispensables pour passer l’hiver ont été remplacées par des peluches du dragon du Wavel – animal légendaire de la ville – ou des tasses-souvenirs de Cracovie. Mais même comme ça, il est difficile de suivre les tendances de consommation de Nowa Huta. « Les gens viennent de moins en moins acheter mais surtout la mairie veut racheter mon commerce », se désole les gérants, présents depuis 1986.

« Faire contre-poids à Cracovie, la ville des intellectuels »
Dans ce quartier, les premiers blocs d’appartements sont érigés en 1949. Le dictateur soviétique veut offrir une ville aux ouvriers du complexe métallurgique Vladimir Lénine construit l’année précédente. Son nom : Nowa Huta – nouvelle aciérie en français –. Mais pourquoi implanter cette usine à 10 kilomètres de Cracovie, dans une région aussi lointaine des mines ? « La légende urbaine dit que c’était pour faire contre-poids à Cracovie, la ville des intellectuels conservateurs et des missionnaires », raconte Pawel Kozlowski, également guide touristique.
Les autorités de l’époque avancent d’autres raisons, plus officielles : la proximité avec la Vistule – le fleuve qui traverse Cracovie – indispensable au bon fonctionnement de l’usine, la proximité avec la Haute-Silésie et ses minerais. Mais surtout, les campagnes avoisinantes sont surpeuplées. La majorité des premiers habitants de Nowa Huta sont des paysans, à qui le pouvoir en place promet une vie meilleure et un travail.
Construire la ville idéale pour les ouvriers à partir de zéro : un groupe d’architectes polonais se voit confier le projet. Nowa Huta est une priorité dans la reconstruction de la Pologne après la Seconde guerre mondiale. Il s’agit même de l’investissement le plus important dans le pays. Investissement soutenu par un prêt de l’Union soviétique de 450.000 dollars alors que la reconstruction de Varsovie est intégralement financée par ses habitants. Ce qui comptait à Nowa Huta était la rapidité de la construction.
Dans les faits, « le groupe d’architectes était obligé de suivre ce qui était dicté par Moscou », juge Pawel Kozlowski. Un projet global voit le jour. De la structure de la ville jusqu’à la plantation des arbres, tout est pensé au millimètre. « Je me suis rendu compte de la précision des travaux il y a quelques années en assistant à une conférence du dernier architecte en vie. Il nous a montré les premiers plans de 1949 avec la position des arbres. Ils sont exactement aux mêmes places aujourd’hui », poursuit le natif du quartier.

« C’est une ville planifiée qui n’a pas vraiment fonctionné »
La mort de Staline en 1953 vient stopper la construction du quartier dans le plus pur style du réalisme socialiste. Symbole de ce changement de plan : l’hôtel de ville est abandonné. Seul subsiste le parc. Nowa Huta devait devenir une ville à part entière pour concurrencer Cracovie. Mais elle est finalement absorbée par cette dernière. « C’est une ville planifiée qui n’a pas vraiment fonctionné comme prévu », estime Katherine Lebow, historienne spécialisée dans l’histoire de la Pologne au XXème siècle, dans Unfinished Utopia (2013).
Au sein même de Nowa Huta, différentes architectures témoignent de l’histoire de Cracovie et des principaux changements intervenus au cours du XXᵉ siècle en Pologne. Les bâtiments les plus imposants associent ainsi style stalinien néoclassique et l’influence renaissance du vieux Cracovie identifiables par les attiques décorant les toits. Mais y figurent aussi des barres d’immeubles sans aucunes décorations construits après la mort de Staline.
Cracovie et Nowa Huta se tournent désormais vers l’avenir. Le chantier de la première ligne de métro de la ville devrait débuter en 2028. Elle passera par Nowa Huta, signe que le projet initial de concurrence entre Cracovie et Nowa Huta fait partie du passé. Mais ce quartier reste un symbole vivant. Le destin de Nowa Huta reflète celui de la Pologne depuis la Seconde guerre mondiale. Nowa Huta a trouvé une nouvelle destinée, pas en tant qu’idéal socialiste mais plutôt en tant que nouveau symbole d’une Pologne capitaliste tournée vers l’Ouest.
François-Xavier Roux
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