À la tête du Conseil de l’UE, la Pologne fait de la sécurité sa boussole
Depuis le 1er janvier, la Pologne a pris le relais de la Hongrie à la présidence du Conseil de l’Union européenne. L’occasion pour le Premier ministre, Donald Tusk, d’inscrire en haut de l’agenda la question du financement des projets de défense. Et aussi de réaffirmer le rôle de Varsovie dans le renforcement de la sécurité européenne. Entretien avec Louise Souverbie, spécialiste des questions de défense européennes à l’Iris.
« Sécurité, Europe ! ». C’est avec ce slogan que la Pologne s’est installée à la tête du Conseil de l’Union européenne pour les six prochains mois. La sécurité, c’est précisément la priorité numéro une fixée par Donald Tusk, le Premier ministre polonais, dans le programme qu’il a présenté aux institutions européennes.
Un choix qui n’a rien de surprenant, explique Louise Souverbie, spécialiste des questions de défense européennes : « La défense est au cœur des préoccupations polonaises », ne serait-ce que pour prévenir la menace russe. Pourtant, la défense « n’est pas censée être la compétence de la présidence tournante du Conseil de l’UE, mais une compétence des États membres. Donc le programme n’a pas été présenté explicitement sous l’angle de la défense, mais sous celui de la sécurité ».
La Pologne est l’armée la plus importante d’Europe en nombre de soldats – environ 216 000 militaires actifs – et la troisième de l’Otan derrière les États-Unis et la Turquie. Au sein de l’UE, c’est aussi le pays qui consacre le budget le plus important à la défense : il représente aujourd’hui 4,1% de son PIB, contre environ 2% en 2022.
Six mois de présidence, pour quels chantiers ?
En tant que présidente du Conseil de l’UE, – qui assure un rôle de « conciliateur des positions » des membres pendant ces six mois -, la Pologne est chargée de faire avancer les négociations sur plusieurs dossiers. Et parmi eux, le programme pour l’industrie de la défense (EDIP) présenté en mars 2024 par la Commission européenne. Il préconise notamment de mobiliser 1,5 milliards d’euros du budget de l’Union européenne sur la période 2025-2027.
Un budget jugé insuffisant au regard « des objectifs ambitieux » affichés par la Commission, estimait la Cour des comptes européenne en octobre dernier. « L’enjeu est de trouver des financements plus conséquents, résume Louise Souverbie. Le chiffre de 500 milliards d’euros sur dix ans a plusieurs fois été évoqué [par Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne] ». Et ce montant, le commissaire des Finances, Andrius Kubilius, espère aussi y parvenir.
Pour atteindre de telles ambitions, la Pologne se dit favorable à une solution qui reste, pour l’heure, en suspens : un endettement commun qui prendrait une forme similaire au plan de relance de 750 milliards d’euros adopté pendant la crise du Covid.
Quels projets de défense pourraient être financés avec ce budget ? Sur cette question épineuse, la Pologne devra certainement jouer les médiatrices : « Une partie d’EDIP est dédié au soutien des acquisitions conjointes [de matériel de défense] ». Mais sur ce sujet, les Etats sont divisés. Certains, dont la Pologne, sont favorables à ce que des entités non européennes, mais présentes sur le territoire européen, soient éligibles au financement de l’UE. La France, par exemple, « préfère que seuls les projets conçus et produits en Europe soient éligibles à ces financements, pour en garantir la propriété intellectuelle », détaille la chercheuse. « C’est un point d’achoppement assez important », résume-t-elle.
Ce budget alloué à la défense servirait aussi à financer le « Bouclier oriental » polonais, un vaste programme de renforcement de la sécurité aux frontières avec la Biélorussie et l’enclave russe de Kaliningrad.
Assurer une part de leadership
« Si l’Europe veut survivre, elle doit être armée ». C’est la missive lancée par Donald Tusk, chef du gouvernement libéral polonais, venu à Strasbourg le 22 janvier dernier pour présenter le programme de la présidence polonaise du Conseil de l’UE devant les eurodéputés. Il s’est livré à un plaidoyer pour l’augmentation des dépenses militaires. Un discours grave et porteur d’unité, qui interroge sur le poids et la crédibilité dont il dispose à l’échelle européenne.
« Aujourd’hui les leaders traditionnels, La France et l’Allemagne, sont un peu en difficulté sur le plan interne et ont peut-être plus de mal à se projeter sur la scène européenne et à avoir une crédibilité forte ». Alors que pour Varsovie, c’est plutôt la situation inverse, estime la chercheuse Louise Souverbie. « La défaite du parti conservateur PiS aux élections générales en novembre 2023, et le retour au pouvoir de Donald Tusk, qui est une personnalité européenne très importante [puisqu’il] a été président du Conseil européen entre 2014 et 2019, ça envoie l’idée que la Pologne pourrait assurer un rôle plus important dans le leadership européen. »
Le Premier ministre polonais est allé jusqu’à inciter les autres pays membres à poursuivre l’objectif fixé par nul autre que son homonyme américain, Donald Trump, d’accroître leurs dépenses de défense à 5% du PIB.
C’est un point qui peut rendre méfiants les acteurs européens face au discours de la nouvelle présidence. « Les ambitions polonaises peuvent aussi être mal perçues, parce qu’historiquement la Pologne est un pays atlantiste, qui parle de renforcer la sécurité européenne tout en achetant beaucoup d’armes aux États-Unis », souligne Louise Souverbie. « Il y a toujours cette ambivalence. »
Mener de front État de droit et défense
Pendant plusieurs années, la Pologne a fait figure de mauvais élève au sein de l’Union européenne pour ses violations du droit européen, notamment en matière d’indépendance de la justice. Ce qui a poussé l’UE, à plusieurs reprises, à lui infliger des sanctions financières ou à lui bloquer le versement de certains fonds européens.
« En 2022-2023, quand le parti PiS était encore au pouvoir, il a utilisé cet argument de dire que l’UE leur menait une “guerre” sur deux fronts, en continuant à retenir les fonds européens qui leur étaient dédiés, alors que la Pologne était en train d’assurer la sécurité de l’Europe », relate la chercheuse. « Mais maintenant, le nouveau gouvernement cherche à mener de front le retour à l’État de droit. Tout en maintenant la défense comme priorité ».
Sarah-Yasmine Ziani
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