Pour les 80 ans de la libération d’Auschwitz, les derniers survivants au cœur de la cérémonie
Seules les voix des derniers survivants se sont élevées, ce lundi 27 janvier 2025 lors des commémorations des 80 ans de la libération du camp d’Auschwitz. Durant la cérémonie, les rescapés ont livré leurs derniers témoignages et alerté sur la recrudescence de l’antisémitisme.
Leon Weintraub s’avance au pupitre. Cheveux argentés coiffés en arrière, moustache blanche, nœud papillon. Droit, digne. Le vieil homme de 99 ans s’éclaircit la gorge et abaisse doucement les micros. Les yeux dans les yeux des 2500 personnes qui l’écoutent, il raconte. Sa mère était blanchisseuse à Lodz en Pologne. Lui devait débuter son lycée lorsque la guerre éclate. D’abord confiné dans un ghetto, le jeune homme est déporté à Auschwitz, quatre ans plus tard, avec les siens, dont il est séparé dès son arrivée. Il se souvient : « Nous avons été privés de notre humanité ».
Leon Weintraub est mis à nu, rasé à la tête, et habillé de cette combinaison rayée tristement emblématique de l’horreur des camps. « Je revois cette fumée noire qui s’élevait des cheminées », poursuit-il. Silence assourdissant. « Soyez attentifs, soyez vigilents […]. Laisser la mémoire de millions de victimes innocentes s’effacer serait faucher leur vie une seconde fois ». Il relève la tête. Son témoignage est sans doute le dernier qu’on entendra d’un survivant pour des commémorations de cette ampleur.
Ils étaient 300 il y a dix ans. Ce 27 janvier 2025, aux alentours de 16h, ils n’étaient plus que 50 pour se souvenir de la libération du camp d’Auschwitz par les soldats de l’Armée Rouge, il y a 80 ans. Réunis dans une grande tente dressée devant la porte principale d’Auschwitz II Birkenau, les survivants ont été le cœur de la cérémonie, qui s’est tenue en présence de 54 délégations officielles et d’une trentaine de chef d’Etats et de gouvernements, comme Emmanuel Macron, le roi Charles III ou encore Volodymyr Zelensky. Une décision de Piotr M.A Cywinski, directeur du Mémorial d’Auschwitz. Il avait averti en amont de la cérémonie qu’il n’y aurait « aucun discours politique ». Car c’est sans doute la dernière fois que les survivants pourront témoigner ainsi.
Mémoire et présent
Pendant deux heures, ce sont donc les voix de Leon Weintraub, de Marian Turski, de Janina Iwanska et de Tova Friedman qui se sont élevées devant les portes d’Auschwitz Birkenau, interrompues par les mélodies de quatre compositeurs déportés à Auschwitz, Simon James, Gideon Klein, Józef Kropiński et Szymon Laks. « Nous avons toujours été une minorité […]. Et maintenant, il ne reste qu’une poignée d’entre nous [les survivants] », a constaté Marian Turski devant ses pairs, dont certains portant un foulard rayé rappelant la tenue des camps. « C’est pourquoi nos pensées devraient maintenant aller à cette écrasante majorité, à ces millions de victimes qui ne pourront jamais nous raconter ce qu’ils ont vécu, parce qu’ils ont été consumés dans cette destruction de masse ». Devant lui les autres rescapés écoutaient, certains très émus. Quand Tova Friedman s’est approchée à son tour du micro, le temps a semblé s’arrêter devant ces « portes de l’enfer ».
La tête haute, des anneaux dorés encadrant son visage fin, la survivante de 87 ans a livré son témoignage d’enfant déportée, humiliée et battue à Auschwitz : « Je revois ces petites filles de 6-7 ans, qui marchaient pieds nus. La faim avait déformé leur corps. Elles aussi sont devenues des cendres […]. Je pensais que nous devions tous mourir. Qu’un enfant juif devait mourir ». La fumée, la faim, le froid, jusqu’aux yeux des bergers allemands retenus par les soldats… Tova Friedman en est encore « hantée ». « Nous avons tous l’obligation non seulement de nous souvenir, mais aussi d’avertir et d’enseigner que la haine engendre davantage de haine, et que tuer entraîne encore plus de meurtres », dit-elle.
À plusieurs moments, le flux de souvenirs s’entremêle au présent. Dans l’ombre, le contexte de la guerre entre Israël et le Hamas et de la recrudescence de l’antisémitisme dans le monde depuis les massacres du 7 octobre 2023, un retour de l’horreur pour les survivants. « N’ayons pas peur de témoigner du même courage aujourd’hui quand le Hamas essaye de nier le massacre du 7 octobre », lance Marian Turski. « Israël, la seule démocratie du Moyen-Orient, se bat pour son existence et son art de vivre », rappelle quant à elle Tova Friedman. « Nous ne voulons pas que notre passé soit le futur de nos enfants », martèle Ronald S. Lauder, président du Congrès Juif mondial, citant les paroles de Roman Kent, écrivain polonais et survivant de la Shoah, aux commémorations des 70 ans de la libération du camp, en 2015. « On ne peut pas être Juif ou même non-Juif sans être préoccupé par ce que l’on voit aujourd’hui ».
Rester debout
Une cérémonie de résilience : c’est ce que montre l’image de ces 50 déportés, se levant un à un, main dans la main avec des adolescents, pour s’avancer vers la porte et déposer des bougies pour tous les disparus. Une survivante étouffe un sanglot, et cache son visage dans les bras de la jeune fille qui l’accompagne. L’histoire est toujours là. Et davantage au cours de la lecture du kaddish, cette prière juive chantée par les rabbins de plusieurs institutions juives en hommage aux victimes. Ce jour-là, elles aussi étaient présentes devant l’entrée d’Auschwitz-Birkenau.
« Notre mémoire a été forgée par ce que vous avez vécu », a lancé Piotr M.A Cywinski, le directeur du Mémorial d’Auschwitz, aux survivants. « Il n’y a pas de mots, très chers, pour exprimer la profondeur de notre gratitude». Pas de mots en effets : mais plusieurs milliers de personnes du monde entier venues les écouter. Pour ne jamais oublier.
Noa Jacquet
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