« Ici, personne ne demande un Polexit » : en Pologne, l’europhilie fait de la résistance
En 2004, la Pologne entrait dans l’Union européenne (UE). Vingt ans plus tard, l’appartenance à l’UE reste bien vue des Polonais. En deux décennies, le pays a largement bénéficié des investissements européens, tandis que l’entrée dans l’UE contribue au sentiment de sécurité face à la Russie. Depuis le 1er janvier, le pays exerce la présidence tournante du Conseil de l’UE.
Une large majorité de Polonais (63%) déclare avoir confiance dans l’Union européenne (UE). C’est douze points au-dessus de la moyenne de l’Union et près de trente points de plus que les Français, selon le dernier Eurobaromètre paru en novembre 2024. Un terrain fertile pour la présidence du Conseil de l’UE, depuis janvier aux mains de Donald Tusk, l’un des chefs de gouvernement les plus europhiles, quand elle était précédemment exercée par le Hongrois Viktor Orban, un des plus eurosceptiques. La Pologne regarde vers Bruxelles. Un fait culturel qui doit beaucoup aux bienfaits économiques, après vingt ans d’appartenance à l’Union.
L’europhilie se conjugue aussi au rural
« Au moment de la chute de l’Union soviétique, il y a eu une romantisation de l’Ouest et de nombreuses expatriations vers la France, l’Espagne et le Royaume-Uni, raconte Olgierd Annusewicz, politologue à l’Université de Varsovie. Mais ce sont surtout les nouvelles routes, les nouveaux ponts, et la transformation économique du pays depuis l’entrée dans l’UE qui séduisent les citoyens. En vingt ans, le mode de vie des Polonais a changé. »
Certes, les ultra-conservateurs du PiS (Droit et Justice), au pouvoir entre 2015 et 2023, ont gouverné sur une ligne eurosceptique. Le président de la République, Andrzej Duda, est toujours acquis à leur cause. Il existe même en Pologne des partis anti-européens. C’est le cas de la coalition d’extrême-droite Konfederacja qui a fait 7% aux dernières élections.
La zone euro peine aussi à fédérer. Sept Polonais sur dix souhaitent conserver le zloty. Pourtant, lors de son accession à l’UE, la Pologne avait bien initié le processus du passage à la monnaie unique. Mais il faut dire que « le zloty a une valeur sentimentale pour les Polonais, explique Tomasz Sieniutycz, directeur de l’institut de sondage Research Partner. Comme il a été introduit six ans après l’indépendance, le nouveau zloty est un symbole de souveraineté. » Mais du reste, la population reste très majoritairement attachée à l’Union européenne.
« Cela reste difficile, en Pologne, de tenir un discours qui nie en bloc les bienfaits de l’UE, se réjouit Marcin Swiecicki, ancien ministre, député et maire de Varsovie, désormais membre de la Fondation Robert Schuman. Même les extrémistes ne demandent pas de Polexit. Ils mettent l’accent sur leurs valeurs anti-LGBT et anti-féministes, parlent d’Europe des nations et s’opposent aux politiques communes. » Ils dénoncent notamment l’accord de libre-échange avec le Mercosur, le Pacte vert et la concurrence d’une agriculture ukrainienne au sein du marché commun.
Le mouvement de colère des agriculteurs qui a secoué l’Europe l’année dernière contre l’accord du Mercosur a bien atteint Varsovie. Mais ici, même le monde paysan est pro-européen. L’ouverture du marché, les aides européennes et la modernisation des infrastructures financées par l’UE sont populaires. L’appartenance à l’UE recueille 80% d’opinions favorables.
Étudiants comme agriculteurs veulent peser au sein de l’Union
Le Collège d’Europe est un des symboles de cette europhilie. Le voilà qui s’étend à la lisière d’une forêt et du paisible quartier résidentiel de Natolin, au sud de Varsovie. 130 étudiants y vivent en quasi vase clos. Leur cursus post-master les destine aux plus hauts postes de l’Union européenne. Les bâtiments sont chaleureux et flambant neufs. Les références aux pères fondateurs de l’Union européenne fleurissent sur le campus. Ce mini-Bruxelles attire des étudiants d’une trentaine de pays. Mais le contingent polonais reste le plus important.
Sur le papier, l’endroit a tout d’un repère d’europhiles élitistes vivant dans une bulle. « Je m’attendais à ce que tout le monde soit très pro-européen et boive les paroles de la Commission européenne, témoigne João Antunes, étudiant portugais. Mais beaucoup veulent faire entendre leur voix sur les positions que l’UE tient ou ne tient pas, notamment sur ce qui se passe à Gaza. Ce n’est pas le monde des Bisounours. »
Dans un campus où les relations internationales et les droits humains sont largement abordés, c’est le Pacte sur la migration et l’asile qui a suscité le plus de polémiques. Mais l’opposition se fait entre différentes versions du projet européen et non contre lui. « On voit mal où l’Europe veut aller, acquiesce Aleksander Piskorz, étudiant polonais. Au départ, c’était une alliance économique. Maintenant, certains parlent de projet civilisationnel. Pour la Pologne en tout cas, il y aura toujours un intérêt existentiel à en faire partie : l’Union nous protège de la menace russe. Je continuerai d’en vanter les mérites auprès des mes amis et de ma famille. »
L’élection présidentielle pour un retour à la normale europhile ?
Comme Aleksander, ils sont donc nombreux à rejeter la ligne de Bruxelles tout en restant pro-européens. Ces opposants europhiles sont à l’unisson de la société polonaise, vingt ans après l’adhésion. « Tout n’est pas que question d’avantages économiques. Les Polonais se sentent européens et sont attachés à cette appartenance à une communauté, précise Olgierd Annusewicz. Ils attendent maintenant que la Pologne soit traitée comme un pays de premier ordre à Bruxelles, que leurs élus aient de l’influence sur les politiques européennes. »
Pour cela, l’élection présidentielle des 18 mai et 1er juin 2025 sera cruciale. En Pologne, le président a moins de pouvoir que le premier ministre. Il dispose toutefois d’un droit de véto qui lui permet de bloquer les réformes du gouvernement. Aujourd’hui, la coalition libérale et pro-européenne de Donald Tusk s’efforce de revenir sur la politique du PiS, qui a gouverné jusqu’à décembre 2023. La coalition au pouvoir mise sur Rafal Trzaskowski pour l’emporter et soutenir ses réformes. Cet ancien ministre, actuel maire de Varsovie, a également été député européen. « Son expérience pourrait en faire un personnage important sur la scène européenne, souligne Olgierd Annusewicz. A contrario, une victoire [du candidat PiS] Karol Nawrocki signifierait un retour de l’euroscepticisme polonais. Même sans outrepasser ses pouvoirs, il serait un partenaire bien plus difficile pour Bruxelles. »
Autres enjeux de l’élection présidentielle : les droits des femmes et des LGBT. « Nous avons la législation la plus dure d’Europe, déplore Marcin Swiecicki, de la fondation Schuman. Avec un autre président, les progressistes et centristes pourront au moins autoriser l’avortement en cas de malformation du fœtus, ce que le tribunal constitutionnel a rendu illégal. Quant au mariage homosexuel, il pourrait a minima y avoir un compromis en faveur de l’union civile, que nous n’avons même pas légalisée. » Avec ces réformes, la Pologne pourrait se rapprocher de la politique conduite dans la majorité des pays européens.
Matthias Troude
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