Comment la forêt de Bialowieza a sauvé les derniers bisons d’Europe
À la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, la forêt de Bialowieza s’étale sur des milliers d’hectares et abrite la plus grande population de bisons d’Europe en liberté. Disparu à l’état sauvage au début du 20e siècle, ce géant des plaines a retrouvé son royaume grâce à des efforts de conservation rigoureux.
Il faut aller tout à l’ouest, puis traverser la campagne polonaise, à 3 kilomètres de la frontière biélorusse, pour découvrir l’une des plus vieilles forêts d’Europe. Au cœur de cet écrin de biodiversité, dans un silence que seuls des cris d’animaux trahissent, les derniers bisons d’Europe reconstituent petit à petit leur population. Car la forêt de Bialowieza a permis de sauver les bisons d’Europe à l’état sauvage, alors exterminés à l’entre-deux guerre. Ils sont actuellement un peu plus de 1100 dans le parc national de Bialowieza, à cheval sur la frontière polono-biélorusse.
Une petite partie d’entre eux est parquée dans une réserve, sous l’œil attentif de biologistes et vétérinaires. La biologiste et conservatrice de la zone de protection du centre d’élevage de bisons, Katarzyna Daleszczyk, sillonne les terres de l’ouest polonais et navigue dans la forêt à la recherche des gros mammifères. Son objectif : favoriser le bon développement des ces géants cornus. Son domaine de prédilection, « essayer d’augmenter le taux de gènes rares pour favoriser la résistance des bisons », nous raconte-t-elle.

Tantôt enjeux européens, touristiques, écologiques ou encore symboliques, les bisons que l’on retrouve actuellement à Bialowieza constituent la plus grande population en liberté d’Europe. Exterminé dans les années 20, le bison d’Europe est réintroduit petit à petit grâce à 12 individus issus de réserves. 6 couples donc sont à l’origine de ce colosse aux poils hirsutes au cœur de la forêt de Bialowieza, où il a longtemps été le maître et dont il est désormais le fier emblème. Aux environs, on le retrouve partout sur les portails, les panneaux, les consommables.
Mais avec si peu d’ancêtres différents, les bisons actuels pâtissent d’un cruel manque de variabilité génétique qui rend leur protection d’autant plus délicate et nécessaire. « La forêt est un environnement très bien adapté pour eux, car ils ont plus de 10 000 hectares ». Cela n’empêche pas le bureau de la conservation du parc national d’intervenir et d’étroitement surveiller les individus : « ils sont entre 30 et 35 individus dans la réserve actuellement », explique Katarzyna Daleszczyk, « on peut les nourrir en hiver notamment, avec des glands de chêne surtout ». En été, les bisons sont déplacés et profitent d’abondantes parcelles d’herbe.

Protéger et sensibiliser
Mais alors comment protéger efficacement les bisons d’Europe, désormais classés comme « espèce vulnérable » et non « espèce en danger » par l’Union internationale pour la conservation de la nature ? Katarzyna Daleszczyk avertit : « les bisons peuvent facilement charger à moins de 80 mètres ». A cette période, dans le parc de Bialowieza, où l’on ne croise que quelques rares aventureux et photographes animaliers en treillis, des panneaux le rappellent très régulièrement. Et puis il faut reconnaître que les touristes ne sont pas toujours dociles face aux avertissements. « Des endroits ne sont pas accessibles au grand public », mais la sensibilisation demeure essentielle pour les membres de l’équipe de conservation : « montrer les bisons dans des enclos aux touristes a aussi vocation à éduquer et à ramener une manne financière ». Des gains dont les chercheurs ont besoin pour continuer à prendre soin de leurs protégés laisse entendre la spécialistes polonaise du bison européen.

Une réinsertion réussie
A une heure de marche, le long du sentier Zebra zubra, on retrouve la fameuse réserve. Pour y accéder, il faut s’enfoncer dans la forêt au relief très peu accidenté. Dans le complexe animalier, tout est pensé pour s’occuper de bisons, de lynx, de cerfs ou encore de chevaux sauvages. Des box et des parcs clôturés sont aménagés, le tout sans oublier qu’il faut montrer aux touristes. Car pour voir les mammifères, il faut débourser quelques zlotys. Alors on accède à des miradors, des coursives et des chemins aménagés pour faciliter l’observation. Perdue au bout d’un chemin forestier, la réserve est dotée d’un complexe ultra-moderne qui accueille des expositions et qui héberge tous ceux qui soignent les animaux.
Mais comment expliquer le paradoxe qui, sous prétexte de réensauvager une espèce, la parque et la surcontrôle ? Katarzyna Daleszczyk explique que « 80% des bisons de Bialowieza sont issus d’un seul couple. Alors il faut développer des techniques de reproduction en introduisant scrupuleusement de nouveaux gènes afin qu’ils soient également distribués. ».
Ici, chaque bison est identifié par un numéro, et les petits qui naissent sont tous méticuleusement recensés. « Tous les bisons sont obligatoirement enregistrés dans le livre européen des pédigrées. C’est obligatoire dans le cadre de la protection du bison des plaines. Alors on peut connaître exactement toute la lignée généalogique de chaque animal. C’est plus facile pour traiter des maladies et pour favoriser la croissance de la population dans le parc ».

Le contrôle ne dépend pas seulement du bon vouloir des spécialistes mais qui est aussi soumis aux autorités polonaises et européennes. De fait, le parc de Bialowieza fait partie du patrimoine de l’Unesco, pour conserver cette qualification, il doit respecter une certaine définition. La protection des bisons en fait partie.
Le bureau de conservation du parc national de Bialowieza le reconnait : « parfois nous devons tuer des bisons. Mais cela se fait après avoir obtenu un bon nombre d’autorisations préalables ». Pourquoi tuer les bisons que l’on veut absolument réussir à réintroduire ? « Nous avons une permission lorsqu’un animal est malade par exemple. Ou lorsqu’il est trop agressif. Ils deviennent alors une menace pour les autres bisons ». Cet abatage encadré répond aussi à des considérations éthiques : « Si un bison a la patte cassée, on ne peut pas le soigner forcément. Alors il faut abréger ses souffrances ».
Car oui, les membres de la réserve ne s’occupent pas seulement de la trentaine de bisons parquée mais sont aussi tenus de s’occuper des bisons en liberté. Trois objectifs guident le travail de Katarzyna Daleszczyk et ses collègues : surveiller, éduquer et soigner.
Mais les bisons en liberté ne font pas l’unanimité : « Bien sûr ils font aussi des dégâts sur les cultures et cela agace les agriculteurs. Mais les populations grossissent, l’homme prend de la place et c’est difficile pour les bisons de trouver la leur » concède la spécialiste.
Des systèmes de compensations financières sont mis en place en cas de dégât, le tout pour apaiser les conflits. En général les interférences sont rares. Katarzyna Daleszczyk est optimiste pour le bison des plaines ; « la population est bonne, elle grandit, elle trouve sa propre nourriture en migrant ». Bialowieza a donc rempli sa mission. 90% des bisons d’Europe actuels se trouvent désormais en Pologne. La réintroduction du plus gros mammifère d’Europe est une réussite car la population sera considérée comme assez stable lorsqu’elle atteindra les 1500 individus.
Crédit photos : Eléonore Claude.
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