De l’église Sainte-Croix aux concerts quotidiens, comment Chopin façonne encore Varsovie
Outre ses monuments emblématiques, tels que le Palais royal ou le musée Lazienki, Varsovie brille également par son héritage culturel. La ville doit une partie de son rayonnement touristique à l’empreinte laissée par son pianiste le plus célèbre, Frédéric Chopin, attirant chaque année des milliers de visiteurs venus du monde entier.
« C’est un peu la mascotte de la ville. » Dans les rues de Varsovie, la silhouette d’Anna Lebeuf, guide touristique, est devenue familière pour les habitants de la rue Krakowskie depuis 20 ans. Spécialiste de la vie de Chopin et passionnée de musique classique, elle invite ce mardi une dizaine de touristes venus d’Asie et d’Europe à la rejoindre au pied du monument Nicolas Copernic pour une immersion dans l’histoire de l’un des plus illustres Varsoviens.
« Il est indéniable que Frédéric Chopin attire des touristes asiatiques en majorité, qui ne se rendraient pas forcément en Pologne autrement. C’est un vrai moteur pour le tourisme culturel, qui permet à la ville de rayonner pleinement », souligne la guide. En moyenne, une quinzaine de personnes s’inscrivent à ses visites pour arpenter ce qu’elle appelle « les Champs-Élysées polonais ».
La promenade invite à un voyage au cœur des lieux emblématiques de Chopin : son premier domicile, situé face à l’université de Varsovie, le départ de sa diligence le 2 novembre 1830 depuis l’actuelle Cour d’appel (autrefois la Poste), sans oublier une quinzaine de bancs sonores diffusant ses compositions dans des lieux marqués par son histoire.

Pour certains visiteurs, cette visite est bien plus qu’un simple circuit touristique. « Je suis monté spécialement de Cracovie pour une journée. C’est peut-être la dernière fois que je viens en Pologne. Pour moi, c’était une étape clé, marcher sur ses traces, c’est comme lire un livre à ciel ouvert », confie Jisoo Park, un touriste sud-coréen.

Mais un lieu en particulier semble susciter davantage d’intérêt. L’église Sainte-Croix, où repose le cœur de Chopin – une volonté qu’il avait exprimée à sa sœur Ludwika, redoutant d’être enterré vivant, comme l’explique la guide – éveille une émotion particulière chez les touristes.
« Dans mon pays (le Japon, NDLR), Chopin est une véritable vedette. Ses plus grands morceaux sont connus de tous. Ça me donne des frissons d’être ici », explique Takumi Watanabe, étudiant en piano, qui a découvert l’artiste avec le morceau Tristesse durant son enfance.
Chopin, un ambassadeur culturel de Varsovie
Selon l’office de tourisme de Varsovie, les visiteurs les plus demandeurs d’informations sur Frédéric Chopin sont principalement originaires de Corée, de Chine et du Japon. Ces pays comptent de nombreux musiciens spécialisés dans l’œuvre du pianiste franco-polonais et la plupart de ces passionnés « viennent dans la capitale uniquement pour lui ».
« Outre les lieux emblématiques où le musicien a vécu, Varsovie mise depuis longtemps sur des événements musicaux attirant des visiteurs du monde entier. C’est notamment le cas du concours international de piano Frédéric Chopin, organisé tous les cinq ans en octobre à la Philharmonie nationale, où la majorité des participants sont étrangers », explique Zofia Nowak, agente d’accueil touristique près du Palais de la Culture et de la Science.
Elle souligne également l’importance de Frédéric Chopin pour l’image de la ville : « Chopin est devenu un symbole de réussite pour Varsovie, au point que notre festival annuel Chopin et son Europe continue de le mettre en avant, bien que d’autres grands compositeurs européens y soient également célébrés. » Toutefois, elle précise qu’aucune statistique officielle ne permet de mesurer l’affluence totale depuis la création du festival en 2005.
Si Chopin attire « plusieurs dizaines de milliers de touristes par an », selon Marek Kilarski, spécialiste au département de la politique touristique de la ville, il rappelle néanmoins que, pour la majorité des visiteurs de la capitale, le compositeur demeure un attrait secondaire de leur séjour.
« Nous leur recommandons donc, pour une première approche, de télécharger les applications mobiles Chopin in Warsaw et Selfie with Chopin, qui permettent une immersion interactive dans son univers », précise-t-il.
« Généralement, pour ces visiteurs, nous leur proposons également, dans notre brochure, la visite du musée Frédéric Chopin, un espace très ludique et moderne, rénové en 2021, afin de compléter leur découverte de la ville au-delà des sites touristiques majeurs comme le château royal. »
Grâce à cette mise en avant, le musée, qui conserve plus de 7.000 objets liés au compositeur – dont son dernier piano à queue, des partitions originales et des lettres manuscrites –, est devenu l’un des incontournables de Varsovie pour les visiteurs étrangers. Entre 2022 et 2024, sa fréquentation a connu une hausse significative, passant de 54.560 à plus de 100.000 visiteurs, dont 70 % d’étrangers, selon le spécialiste.

Plusieurs bustes du compositeur occupent une salle entière au deuxième étage du musée. Crédit – Alexandre Simoes

Plusieurs partitions originales de Frédéric Chopin, jouées par de petits haut-parleurs. Crédit – Alexandre Simoes

« C’est devenu l’un des meilleurs sites touristiques de Varsovie », assure Magdalena Kowalska, membre du personnel d’accueil. « On observe aussi un changement dans le profil des visiteurs. Avant, il s’agissait surtout de puristes ou d’étudiants en musique. Désormais, on voit de plus en plus de familles, accompagnées d’enfants qui peuvent profiter de nos espaces qui leur sont spécialement dédiés. »
Des concerts quotidiens
Autre témoin de la popularité de Chopin : les concerts donnés chaque soir dans la vieille ville. Interprétés par des pianistes polonais et internationaux, ces représentations, autrefois limitées à la saison estivale, sont désormais organisées toute l’année. « La demande était si forte que nous avons dû multiplier les représentations, parfois en doublant les concerts dans certaines salles », explique Marek Kilarski, précisant que l’offre a augmenté de 30 % depuis 2020.
Un engouement particulièrement perceptible ce mardi 28 janvier, dans une salle située au 8, place Zamkowy, discrètement nichée dans les ruelles de la vieille ville. Là, une vingtaine de spectateurs sont attendus pour écouter la pianiste polonaise Katarzyna Kraszewska, parmi les trente sièges disposés en cercle autour du piano trônant au centre de la salle.

« En hiver, nous faisons salle comble une fois sur deux. En revanche, en été, si vous ne réservez pas plusieurs semaines à l’avance, il est presque impossible d’obtenir un billet. C’est une vraie réussite », témoigne Jakub Wojcik, chargé de l’accueil des spectateurs.
Parmi eux, un couple de Français, curieux de découvrir Chopin autrement. « On voulait juste passer une soirée tranquille avant d’aller au restaurant et on s’est laissé tenter par les conseils de locaux. En plus, le prix est raisonnable (95 zlotys, soit environ 22,66 euros, NDLR) », expliquent-ils.
Sur scène, Katarzyna Kraszewska, lauréate de plusieurs concours internationaux, enchaîne les pièces les plus emblématiques de Chopin, des Mazurkas aux Préludes en passant par les Nocturnes. Habitée par l’émotion, elle captive une salle suspendue à chacune de ses notes. « C’est un vrai bonheur de monter sur scène chaque soir et de transmettre cette musique à ceux qui la découvrent », confie la pianiste, avant de conclure : « Varsovie, c’est Chopin. »
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