Étudier la médecine vétérinaire en Pologne: une alternative pour les Français recalés

Face à un concours vétérinaire jugé trop élitiste en France, de plus en plus d’étudiants se tournent vers la Pologne pour réaliser leur rêve. Malgré un coût élevé, cette alternative leur garantit un diplôme reconnu ailleurs dans l’Union européenne. Un choix de raison, mais aussi un sacrifice pour certains.

Le campus universitaire de Varsovie brille sous le soleil de cette fin janvier. À 29 ans, Carmen fréquente les bancs de la faculté des sciences depuis trois ans. Après une formation d’ingénieure aéronautique et un contrat chez Thales, elle a décidé de reprendre ses études pour exercer le métier de ses rêves : vétérinaire. Mais, quand vint le moment de passer le concours d’entrée en France, la désillusion fut immense. « J’ai eu une excellente note à l’épreuve écrite, raconte-t-elle. Mais lors de l’étude de mon dossier, le jury a décrété que mon parcours universitaire ne correspondait pas à ce que l’on attendait d’une future vétérinaire. » Elle est recalée. Amandine, 27 ans, avait, elle, suivi le parcours parfait : une licence en microbiologie et une année de classe préparatoire. Mais même sentence : malgré une épreuve écrite réussie, son dossier est refusé.

1 vétérinaire français sur 2 est formé à l’étranger

Beaucoup de déçus se tournent donc vers les formations proposées par d’autres pays de l’Union européenne. D’après une étude réalisée par les écoles nationales vétérinaires françaises en 2024, ils seraient près de 4000 étudiants français à étudier à l’étranger, bénéficiant d’un diplôme leur permettant d’exercer dans n’importe quel pays de l’Union européenne. Les destinations historiques telles que la Roumanie, l’Espagne, la Belgique ou le Portugal manquant désormais de places, d’autres pays deviennent de plus en plus prisés. C’est le cas de la Pologne. « On voit qu’il y a un réel engouement depuis quelques temps, témoigne Amandine. Chaque année, il y a un peu plus de Français qui viennent étudier à la SGGW, mon université à Varsovie. La Pologne pourrait bientôt devenir une destination de référence comme l’a longtemps été la Roumanie. »

Et la Pologne n’attire plus uniquement des étudiants refoulés au concours français. Face à des études vétérinaires qui semblent hors de portée en France, certains bacheliers s’orientent directement vers ces cursus parallèles. « Ils sont désabusés avant même d’avoir commencé, regrette Amandine. Certains savent très bien qu’ils ne seront jamais pris parce qu’ils n’ont tout simplement pas leur place dans cet entre-soi. Et comme les formations à l’étranger sont accessibles immédiatement après le bac, ils se disent que c’est la meilleure solution. » Les conséquences sont sans appel : un vétérinaire sur deux qui exerce en France a été formé à l’étranger.

« Etudier en Pologne et non en France, c’est un sacrifice »

Mais pour Carmen, la Pologne n’a pas été une évidence. « J’avais réussi le concours d’entrée en Pologne et en Espagne, relate-t-elle, c’est le prix de la formation qui a été déterminant : 15.000 euros par an en Espagne, contre 8.500 euros en Pologne. »

Cette somme, Carmen pensait que Pôle Emploi la financerait en partie, mais elle est tombée de haut. « Mes trois ans passés chez Thales me donnaient le droit à l’allocation chômage, explique-t-elle. Et en cas de réorientation professionnelle, ils financent la formation. J’étais censée toucher 1400 euros par mois. Mais ils ont décrété que six années d’études, c’était trop long, et je n’ai eu le droit à aucune aide. » Alors, en parallèle, la jeune femme travaille 35 heures par semaine dans une agence d’assurance animale, à Varsovie. « C’est un rythme très soutenu, raconte-t-elle. Je travaille de 8h à 9h, puis je vais à la fac de 10h à 16h30 et je travaille à nouveau de 17h à 22h. Et c’est ça tous les jours. »

Amandine, elle, a contracté un prêt étudiant de 50.000 euros. « Pour moi, étudier en Pologne et non en France, c’est un sacrifice, confie-t-elle. Financièrement, mais aussi personnellement. On met un peu notre vie entre parenthèses pendant six ans. »

Un système universitaire polonais très exigeant

D’autant plus que la formation polonaise est loin d’être moins exigeante. Au contraire, le système de compensation n’existant pas, les étudiants doivent avoir un minimum de 15/20 à chaque examen. Sinon, c’est le redoublement. « J’ai redoublé ma deuxième année parce que j’avais eu 14/20 à une matière, raconte Carmen. Le fait que j’ai eu 18/20 aux autres épreuves n’a rien changé. J’ai dû redoubler mon année et débourser la somme qui va avec. »

La charge de travail est elle aussi très conséquente. « A chaque semestre, l’université nous indique le nombre d’heures de travail qu’il nous faudrait pour valider notre semestre, détaille Carmen. J’ai fait le calcul et cela reviendrait à travailler de 7h à 21h tous les jours, week-end compris. »

« En France, une fois rentrés en école, on est presque sûrs d’avoir notre diplôme, rappelle Amandine. Ici, on joue notre avenir à chaque examen. » S’ajoutent à cela des cours dispensés à 100% en anglais. « Il faut réapprendre tout le vocabulaire médical et travailler encore plus pour être sûr d’avoir vraiment tout compris », confie-t-elle.

La pénurie de vétérinaires en France leur garantit un emploi à la fin de leurs études

Pour ce qui est de leur avenir professionnel, les deux jeunes femmes sont catégoriques : il se fera en France. « Ici, un vétérinaire en début de carrière est payé 900€ par mois pour 40 heures par semaine, explique Carmen. Et depuis le Covid et la guerre en Ukraine, le pouvoir d’achat a fortement baissé : le prix d’un chariot de courses a presque doublé. Alors le compte n’y est clairement pas. »

A leur retour en France, il arrive que certains vétérinaires formés à l’étranger soient victimes d’une forme de discrimination. « Certains membres de la vieille génération estiment qu’on a été moins bien formés, relate Amandine. Ils sont convaincus que l’éducation à la française est la meilleure et que si on ne fait pas partie de cette élite, on sera un moins bon vétérinaire ».

Carmen et Amandine n’ont néanmoins aucune inquiétude quant à leur chance de trouver un emploi à leur retour en France. « Il y a une telle pénurie de vétérinaires dans les zones rurales, qu’on trouvera forcément du travail », assure Carmen. Amandine, elle, a déjà un poste qui l’attend, dans une clinique rurale à la frontière entre l’Aveyron et la Lozère.

Camille Beaurain

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