Justyna Wydrzynska, militante condamnée pour aide à l’avortement et figure de la jeunesse

En étant la première femme jugée pour “aide à l’avortement” depuis la quasi-interdiction à l’IVG en Pologne en 2021, Justyna Wydrzynska est devenu un symbole de la lutte féministe dans son pays. Son procès en appel relance les débats sur sa condamnation et ravive l’espoir des jeunes militantes qui la suivent.

“Tous Justyna”. Devant la Cour suprême de Varsovie, un collectif féministe scande le nom de Justyna Wydrzynska. La militante de « Abortion Dream Team » est déjà à l’intérieur du tribunal, dans l’attente d’un premier verdict pour son procès en appel. En mars 2023, elle a été déclarée coupable “d’aide à l’avortement” et condamnée à huit mois de service d’intérêt général. Justyna espère bien rebattre les cartes d’un procès qu’elle estime éminemment politique.

“On peut avoir une vie après l’avortement”

La veille, assise au bureau du collectif Abortion Dream Team, Justyna ne tient plus en place. Ses traits sages se tendent. “Je suis fatiguée. Très fatigué. Je veux juste que toute cette histoire se termine”, avoue-t-elle. Lorsqu’elle a décidé de venir en aide à Ania en février 2020, la militante ne pensait pas que ce geste lui coûterait autant. “La jeune femme était enceinte de 12 semaines. Son mari n’était pas d’accord avec sa décision d’avorter. Elle avait peur. Mais elle ne pouvait pas aller à l’étranger en laissant ses autres enfants à cet homme”, déroule-t-elle.

Le droit à l’avortement en Pologne est l’un des plus restrictifs d’Europe. Depuis septembre 2021, il n’est autorisé qu’en cas de danger pour la vie ou la santé de la femme enceinte, d’inceste ou de viol. Mais ce jour-là, Justyna a donné ses propres pilules abortives, ce qui est également interdit. Considéré comme “aide à l’avortement”, faire passer ces pilules à une femme enceinte est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison.

En réalité, Jystina mène son combat pour un avortement sûr et légal depuis près de 20 ans. En tombant enceinte en 2006, elle réalise combien accéder aux bonnes informations sur l’IVG est difficile dans son pays. C’est pourquoi elle décide de partager sa propre expérience.  “En montrant mon visage et en disant aux gens que je suis celle qui a avorté, on donne un visage [à la lutte]”, explique-t-elle, profondément convaincue. “On peut avoir une vie après l’avortement. Une vie très bonne vie même, parce qu’on a décidé de notre propre futur.” , ajoute-t-elle.

Mais les tensions politiques autour du droit à l’avortement n’ont fait que se renforcer et en 2016, à l’heure de la première protestation noire, elle décide de créer le collectif Abortion Dream team. Cette manifestation, en réaction au premier projet de loi menaçant le droit à l’avortement, avait réuni des milliers de Polonaises dans les quatre coins du pays. “On a senti la menace monter et on a compris qu’on devait faire plus que juste soutenir les gens sur internet”.

Les jeunes militantes sont venues nombreuses pour montrer leur soutien à Justyna. PHOTO : Emma Larbi

Aujourd’hui, elle est devenue une figure incontournable du combat pour le droit des femmes en Pologne.“J’ai rencontré tellement de femmes isolées et terrifiées à l’idée d’avorter. Il fallait que ça change.” ajoute-elle. Au fils des années, elle s’est rassemblée avec d’autres militantes pour créer tout un système de sensibilisation et d’accompagnement des femmes qui décident d’avorter. Elles informent, financent et organisent des voyages à l’étranger pour le faciliter. Et avec les réseaux sociaux comme premier outil de diffusion, elles ont très vite compté sur internet pour déployer tout un système d’action trans-européen.

To recap, our girl Justyna of Kobiety w Sieci, Abortion Dream Team and Abortion Without Borders is in court to appeal her criminal conviction. What was she convicted of? The intent to help someone have an abortion (Justyna is in the middle)

[image or embed]— Mara Clarke (@maraclarke.bsky.social) 30 janvier 2025 à 09:12

Grâce à ce collectif, Jusytna a confiance. Elle sent le soutien des militantes et espère faire avancer les choses en terminant ce procès. Si l’appel de son jugement vient invalider la première décision, cela pourrait faire d’elle un exemple pour les futures procédures. 

“Un modèle pour tous”

Parmi la dizaine de femmes présentes le lendemain, devant le tribunal, plus de la moitié sont jeunes et déterminées. “C’est une battante. Elle ne lâche jamais l’affaire et ça c’est ce qui nous inspire tous!” s’exclame Ania. Cette jeune étudiante de Varsovie porte farouchement sa pancarte, sur laquelle on peut lire “Condamnée pour avoir réagi à l’injustice”. À ses côtés, Halina renchérit : “Les Polonais ne se rende pas compte à quel point c’est horrible. C’est injuste et dégoûtant”. 

Olga et son amie tendent une pancarte où on peut lire « Quand l’œuf est-il devenu une poule ? » en Polonais. PHOTO : Emma Larbi

Justyna et la Dream team ont vite compris la force des réseaux sociaux pour atteindre ces jeunes femmes. Olga, la vingtaine, en fait partie. Elle s’implique dans la lutte “depuis le début”. “Pour moi, Justyna est une femme incroyable. C’est juste un modèle pour tout le monde ici”. Venue avec une amie du même âge, elles attendent avec impatience la sortie de Justyna. “On veut lui montrer que beaucoup de gens la supportent”.

Cependant, les récentes restrictions du groupe Meta concernant les contenus liés à la pilule abortive sur ces réseaux sociaux risquent d’entraver leur action. D’après Abortion Dream Team, les informations liées à l’avortement seraient déjà censurées depuis longtemps. Le collectif craint que leur site ne puisse être suspendu, comme les compte Instagram des fournisseurs de pilules abortives Women Help Women et Just the Pill pendant un temps mi-janvier. En 2024, Abortion Dream Team a soutenu 47 000 avortements. 95,4% d’entre eux ont été pratiqués par pilule abortive, peu coûteuse et pratique. 

Le verdict de son procès sera rendu le 13 février prochain.

Laisser un commentaire