« On sait que la Pologne est la prochaine sur la liste » : ces Polonais qui aident toujours les réfugiés ukrainiens après trois ans de guerre
Trois ans après le début de la guerre, plus de 900.000 Ukrainiens vivent désormais en Pologne. Pour les accueillir, de nombreux Polonais se sont organisés et des mécanismes de solidarité se sont mis en place. Mais face à une guerre qui dure, l’intégration des réfugiés divise au sein de la population polonaise.
Au Nord-Ouest de Cracovie, d’anciennes villas de généraux allemands autrefois siège de la Gestapo et des barres d’immeubles se côtoient. Parmi ces bâtiments désormais habités par la classe moyenne de la ville, se trouve un édifice au crépi jaune. C’est au quatrième étage que nous accueille Lukas, le propriétaire, et Irina, la mère de famille ukrainienne qu’il héberge gratuitement depuis trois ans.
Un élan de solidarité immédiat
C’est le 8 mars 2022 qu’Irina a rencontré Lukas, sur un des quais de Krakow Glowny, la principale gare de Cracovie. La relation a pu se nouer par l’intermédiaire d’une connaissance familiale. « Quand la guerre a commencé et que l’on a dû fuir, elle l’a appelé pour lui demander s’il connaissait des Polonais qui pourraient nous héberger provisoirement », détaille-t-elle.
« J’étais propriétaire de cet appartement et il était vide », raconte Lukas, la soixantaine. « Alors j’ai bien évidemment dit qu’Irina et sa famille étaient les bienvenus à Cracovie ! ». Quelques jours plus tard, la mère de famille, ses deux filles, Anna, 12 ans et Julia, 8 ans, et leur grand-mère montaient dans un train au départ de Kiev, leur ville natale, aux côtés de plusieurs dizaines d’autres futurs réfugiés.
« Plusieurs centaines de milliers d’Ukrainiens ont été accueillis à Cracovie », explique Lukas. A l’époque, le gouvernement a largement encouragé la population à faire preuve d’hospitalité envers les Ukrainiens. « Après avoir scanné un QR code, nous pouvions renseigner le nombre de personnes que nous étions dans la possibilité d’accueillir », se souvient Lukas. Qu’elle soit le fruit du bouche-à-oreille ou d’initiatives gouvernementales, la solidarité mise en place a eu pour conséquence un afflux massif d’Ukrainiens. Avec 900.000 réfugiés actuellement sur son territoire, la Pologne est le deuxième pays de l’Union européenne à avoir accueilli le plus d’Ukrainiens, après l’Allemagne.
Une action politique pour beaucoup de Polonais
Sebastian, un ami de Lukas, a lui aussi fait preuve de générosité. « Dès que j’ai vu le message du gouvernement, nous nous sommes inscrits avec ma femme, en disant que nous avions une chambre de libre dans notre maison, explique-t-il. Il était 23h. Le lendemain, à 8h, on allait chercher Galina et sa petite fille Alissa à la gare routière. Elles sont restées un mois avant de partir à Liverpool. Elle était auparavant à Marioupol pour s’occuper de son fils malade, et elle a dû fuir avec la petite. Je les ai aidées à trouver des logements pour le reste de la famille. »
Mais la raison qui pousse beaucoup de Polonais à ouvrir leurs portes est aussi politique. « Accueillir des réfugiés ukrainiens, c’est une façon pour nous d’aider l’Ukraine et de nous battre contre la Russie, de nous protéger de l’impérialisme russe », confie Sebastian. Avec une frontière directe avec la Russie et son alliée biélorusse, le pays est en première ligne dans le conflit à l’est. « On sait que si personne n’arrête Poutine, la Pologne est la prochaine sur la liste », juge-t-il.
Une nation divisée face à la crise ukrainienne
Mais après trois ans, tous ne sont pas aussi catégoriques. Les difficultés économiques du pays et la montée de l’extrême droite entraînent une réticence d’une partie des Polonais face à l’accueil de réfugiés et à l’aide publique qui leur est consacrée (elle équivaut à 2,4% du PIB du pays).
L’intégration des enfants dans le système scolaire fait notamment débat. En 2023, près de la moitié des 300.000 enfants réfugiés n’étaient pas scolarisés dans les écoles polonaises et suivaient des cours à distance, encadrés par leurs écoles ukrainiennes. Anna et Julia, les filles d’Irina, alternaient quant à elles entre école polonaise et ukrainienne, le temps de s’adapter. « Au début, c’était très difficile, raconte Irina. Elles ne voulaient pas aller à l’école polonaise, elles pleuraient. Mais les enfants les ont tellement bien accueilli que maintenant elles ne veulent même plus suivre les cours ukrainiens en ligne. » Depuis septembre dernier, le gouvernement a décidé de supprimer l’allocation familiale équivalant à un peu moins de 200 euros aux familles ne scolarisant pas leurs enfants dans les écoles polonaises.
Les associations poursuivent leurs actions
L’intégration des réfugiés ukrainiens dépend aussi de nombreux autres aspects, comme trouver un emploi, par exemple. « Les Ukrainiens sont très présents dans les métiers qui ne nécessitent pas une parfaite maîtrise de la langue polonaise, explique Sebastian. Ils sont nombreux à travailler dans le secteur de l’hôtellerie, de la restauration, de la beauté, à être chauffeurs de taxi, de VTC… » Nombreux sont les Ukrainiens à avoir ainsi changé de catégorie socio-professionnelle. C’est le cas d’Irina. « A Kiev, j’étais commerçante, explique-t-elle. Ici, j’aide à faire la cuisine et le ménage dans un restaurant. J’ai un ami qui était manager dans le marketing en Ukraine, ici il est livreur de sushis. C’est difficile, surtout que cela signifie aussi une baisse de salaire. »
Beaucoup de réfugiés ukrainiens seraient ainsi en situation de précarité. Pour les aider, des associations continuent à se mobiliser. C’est le cas du JCC, le Jewish Community Center, de Cracovie. Fondé en 2008 à Kazimierz – le quartier juif de la ville – ce centre avait pour objectif d’offrir un lieu de rassemblement et d’échange à la communauté juive. Mais depuis 2022, le JCC est aussi devenu une association aidant les réfugiés ukrainiens.

A l’entrée, juste au-dessus de la banderole commémorant le 80e anniversaire de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz, des lettres cyrilliques bleues sur un fond jaune forment le mot ukrainien signifiant « bienvenue ». À côté, trois drapeaux représentent trois pays : la Pologne, Israël et l’Ukraine. « Une grande partie de notre réponse humanitaire à la crise ukrainienne consiste à offrir de la nourriture, des vêtements et des jouets pour les enfants », explique Oskar, 26 ans, employé du JCC.
Dans la salle, les étagères sont presque vides : il est 15h et plus de 300 personnes sont déjà venues se ravitailler. Au début du conflit, ils étaient plus du double à venir chaque jour. « Mais notre but est de leur proposer bien plus que ce qui se trouve dans cette pièce, précise Oskar. Nous les aidons à trouver du travail grâce à des ateliers de préparation aux entretiens d’embauche par exemple, nous leur louons des appartements ».
Mais l’objectif de l’association va au delà des moyens qui permettent simplement de survivre. « Nous leur proposons un soutien psychologique avec des psychologues présents en permanence », explique le membre actif de l’association. « Nous leur offrons aussi l’opportunité de se rencontrer, de construire une véritable communauté. » D’après Oskar, le JCC a aidé d’une façon ou d’une autre plus de 300.000 réfugiés ukrainiens en 2024.
Camille Beaurain
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