Que reste-t-il de la communauté juive polonaise, 80 ans après la Shoah?
La Pologne, considérée comme le berceau du judaïsme européen, a vu sa population juive chuter de 99% depuis 1939. Et pour cause, il y a 80 ans, seuls 13 % des 3,35 millions de Juifs polonais ont survécu à la Shoah. Les pogroms, l’antisémitisme et la création de l’État d’Israël en 1948 ont convaincu des centaines de milliers de personnes à quitter le pays.
Devant l’unique synagogue de Varsovie, une cinquantaine de fidèles sortent ce vendredi après l’office. Comme chaque semaine, cela marque le début de Chabbat – le jour de repos et de célébration des Juifs. Il est à peine 18 heures quand le grand rabbin de Pologne, Michael Joseph Schudrich, ouvre la marche en direction d’une annexe. « On va manger tous ensemble », lance Dov, un jeune croyant en suivant le rabbin. Femmes, hommes et quelques enfants entrent ensemble dans une grande salle à manger du bâtiment. Tous tiennent, ouverte dans leurs mains, une Torah, le texte sacré du judaïsme. Les prières en hébreu sont chantées en chœur.
Le rabbin invite ses convives à s’asseoir pour débuter la cérémonie du kiddoush afin de bénir le vin. Après avoir effectué plusieurs rituels et quelques prières, le repas peut commencer. Très rapidement, les échanges entre fidèles fusent, on peine à s’entendre dans la salle. Et pour cause, lors d’une soirée de Chabbat, les connexions se font entre les croyants et non sur leur téléphone, interdit en ce jour chômé.
« On n’est plus que 700 pratiquants à Varsovie »
Dans la salle, difficile de repérer les moins de 30 ans. À 21 ans, Jan pointe du doigt son ami Dov et lance : « On est presque les seuls jeunes de Varsovie à venir chaque semaine à la synagogue ». En face de lui, une maman accompagnée de ses enfants acquiesce puis murmure : « On n’est plus que 700 pratiquants à Varsovie ». Une remarque marquante quand on sait que la Pologne a été, durant des années, le cœur de la culture juive ashkénaze. « La communauté devient de plus en plus petite. C’est une difficulté à laquelle on doit faire face », intervient Max en train de boire sa soupe. Il marque une pause et développe son propos : « Comme vous pouvez l’imaginer, la plupart des Juifs polonais sont partis après la guerre. Et puis il y a eu une vague de départ en 1948, mais jusqu’en 1968 il y avait encore au moins 30 ou 40.000 juifs. Depuis, il n’en reste presque plus… »
Comme Max l’explique sous ses grandes lunettes rouges, aujourd’hui, selon l’Office des statistiques polonais (GUS) seules 17.000 personnes en Pologne se sont déclarées juives en 2023. En moins d’un siècle, la population juive polonaise est donc passée de 3,35 millions à environ 17.000 personnes. D’abord du fait de l’extermination mise en place par le régime nazi, puis de différentes vagues d’antisémitisme.
Pour Jan, les mouvements actuels ne sont pas un problème lié à la sécurité ou à l’antisémitisme. « Je pense que la Pologne est l’un des pays d’Europe les plus sûrs pour les juifs. Sinon dans le monde. Le principal problème est que la communauté aujourd’hui se réduit d’année en année, car on ne fait pas beaucoup d’enfants. Je pense que le seul espoir pour la communauté, ce sont les jeunes. Il faudrait qu’ils s’impliquent davantage dans la communauté, mais je ne pense pas que ce soit réalisable ».
Quitter la Pologne pour Israël
Jan s’afflige de cette situation en Pologne, pourtant, dans quelques, mois il effectuera son « aliyah« , désignant son immigration vers Israël. En effet, sa judéité lui donne le droit « au retour » en Israël à n’importe quel moment de sa vie. « En plus, je pensais avoir perdu la plupart de ma famille durant la Shoah, mais j’ai appris que certains d’entre eux avaient survécu et qu’ils se trouvaient aujourd’hui en Israël », sourit-il.
Au milieu de la soirée, le grand rabbin interrompt le repas, il se lève et fait une déclaration d’une quinzaine de minutes. Il aborde la commémoration des 80 ans de la libération d’Auschwitz. Plusieurs personnes de la salle y étaient présentes. Tous l’écoutent en silence. Par la suite, il annonce à ses convives la venue du fils d’un otage encore bloqué à Gaza. L’occasion pour la communauté de se rassembler après le repas à la synagogue.
L’évocation de la situation à Gaza rappelle à Jan que son arrivée en Israël dans quelques mois marquera le début de son service militaire. Il voit son arrivée en Israël comme un réel accomplissement : « j’aime l’idée de pouvoir revenir sur la terre de mes ancêtres après 2000 ans d’exil. Je pense qu’il est très important que les juifs aient leur propre pays et qu’il est encore plus important que nous ayons une armée pour gouverner notre nation de manière autonome. »
À ses côtés, Max n’a pas l’air de partager cet avis : « Je suis le petit-fils d’un survivant de la Shoah à Varsovie, j’ai des cousins éloignés en Israël, mais je n’irai pas vivre là-bas ni aujourd’hui ni l’année prochaine. Je n’aimerais pas me sentir jugé quand je sors la nuit pour aller fumer une cigarette ». Comme Jan, depuis les attaques du 7 octobre 2023, 35.000 juifs à travers le monde ont réaffirmé leur judéité en faisant leur « aliyah », selon l’Agence juive d’Israël.
Noa PERRET
Légende photo : Reconstitution de la synagogue de Gwozdziec dans le musée de l’Histoire des juifs polonais à Varsovie. (Crédit photo : Noa Jacquet)
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