La reconstruction du Palais de Saxe à Varsovie fait débat
Décidée en 2023, la reconstruction de l’ancien Palais de Saxe de Varsovie, détruit par les nazis en 1944, est contestée par l’opposition ainsi que par des architectes à cause du financement colossal d’un tel chantier, et de l’intérêt historique du projet.
Pour l’instant, c’est un gros trou en plein milieu de la place Pilsudski à Varsovie, d’où émergent quelques ruines. Mais d’ici 2030, ce sera de nouveau le Palais de Saxe, l’un des bâtiments les plus emblématiques de la ville avant la guerre. « Ensemble, nous reconstruisons ce qui n’aurait pas dû être détruit », lit-on sur les bâches qui entourent le chantier. Construit au XIIe siècle, le palais devenu résidence royale, a accueilli le compositeur Frédéric Chopin, et plus tard les mathématiciens qui ont réussi à craquer le code de la machine nazie Enigma. Rasé par les nazis pendant la guerre, il ne reste de l’imposante bâtisse aux grandes colonnades qu’un petit monument, qui abrite aujourd’hui la flamme du soldat inconnu de Varsovie.
Le projet de reconstruction a vu le jour en 2018, poussé par le Président polonais Andrzej Duda. Il a fait l’objet d’un projet de loi en 2021. La construction commence cinq ans plus tard, et ce malgré les doutes émis par les principaux partis d’opposition et certains architectes.

2,5 milliards de zlotys
Premier problème : l’investissement colossal que représente le projet. Complètement détruit après la guerre, le palais doit être reconstruit à partir de zéro. Le chantier s’annonce coûteux : pour ériger de nouveau le Palais de Saxe au milieu de Varsovie, c’est la somme de 2,5 milliards de zlotys qui est engagée par les pouvoirs publics, soit 600 millions d’euros. Un coût dont l’opposition, mais aussi des architectes, questionnent la pertinence. Dans une lettre ouverte adressée au Président Andrzej Duda en 2021, les critiques et historiens d’architecture Grzegorz Piątek, Marta Leśniakowska et Andrzej Pałys ont exprimé leurs doutes sur un projet de loi passée « en express ».
« Pourquoi tant de précipitation ? Est-ce pour que le stade soit construit à temps pour les Jeux olympiques ? Des lance-roquettes pour la guerre à venir ? Un hôpital pour la prochaine vague d’épidémies ? Non. Il s’agit de satisfaire le besoin dispendieux d’une poignée d’amateurs du Varsovie d’avant-guerre, et les intérêts des politiciens, en construisant la maquette d’un monument dans lequel on ne sait même pas exactement ce qui sera abrité », a commenté Grzegorz Piątek, critique d’architecture. Il existe un vague projet de loger le Sénat polonais dans le palais. Mais rien n’est encore arrêté.

Crispations mémorielles
La reconstruction du Palais à l’identique suscite par ailleurs de nombreuses discussions sur l’identité de la ville : « Reconstuire le Palais de Saxe, cela est perçu comme une volonté d’en finir avec la période de destruction nazie », explique Damien Thiriet, professeur d’histoire au lycée français de Varsovie. « Le projet s’inscrit dans la politique historique du PiS, le parti conservateur, qui veut en finir avec ce qu’ils appellent la pédagogie de la honte ». Pour eux, il faut cesser de se concentrer sur les épisodes honteux de l’histoire de la Pologne: la Shoah, la collaboration de la population polonaise avec les Allemands… «Tout ce qui ne montre pas les Polonais comme une nation ancrée dans l’histoire, le PiS aimerait l’effacer ».
La place est par ailleurs un endroit ayant sa propre identité : elle abrite aujourd’hui la flamme du soldat inconnu, mais aussi le monument en hommage aux victimes du crash de l’avion présidentiel polonais dans la ville de Smolensk, en 2010. Le pape Jean-Paul II y avait également donné une messe historique en 1999, réunissant plus d’un million de personnes. « Avec le prétexte de poursuivre ou d’achever des travaux de la reconstruction d’après-guerre, les valeurs fondamentales du patrimoine unique du lieu, à la fois symbolique et spatial, menées par l’un des monuments les plus précieux du pays – la Tombe du Soldat Inconnu – sont menacées », soulignent encore Grzegorz Piątek et ses collègues dans leur lettre ouverte.
Pour Damien Thiriet, le PiS veut marquer les esprits avec une nouvelle étape dans la reconstruction de la ville, comparable à celle du Palais Royal de Varsovie, qui a eu lieu après la guerre. « Mais ce ne sont pas du tout les mêmes enjeux : pour financer la reconstruction du Palais Royal, des collectes avaient été organisées, la population était bien plus impliquée. Le Palais de Saxe est à mon sens bien moins fédérateur, c’est moins l’affaire de la Société civile que celle de l’Etat ».
Noa Jacquet
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