La maison du commandant d’Auschwitz ouvre ses portes
Longtemps inaccessible, la maison du commandant du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, Rudolf Hoess, peut désormais être visitée. Un organisme américain, Counter Extremism Project (CEP), a racheté le lieu en octobre dernier pour en faire un centre de recherche contre la radicalisation et l’extrémisme. A l’occasion des 80 ans de la libération du camp, la maison pouvait être visitée pour la première fois.
C’est une grande bâtisse grise, de celle où vivent des familles polonaises moyennes. Depuis la route, une simple clôture en bois délimite la propriété. Derrière, on aperçoit des arbres, des plantes, des buissons. Pourtant, il suffit de faire cinq pas de plus sur la route pour que la fin de cette belle propriété laisse place aux baraques des prisonniers du camp d’Auschwitz I.
On est au 88 rue Legionow, dans la ville polonaise d’Oswiecim – en allemand Auschwitz. Cette maison, communément appelée House 88, a été celle du commandant Rudolf Hoess et sa famille durant quatre année, de 1941 à 1944. Ce 27 janvier 2025, alors qu’avaient lieu les commémorations pour les 80 ans de la libération du camp, la maison de Rudolf Hoess était ouverte au public pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Dès l’entrée, des notes de piano résonnent. Durant des décennies, une famille polonaise a habité les lieux. Aujourd’hui, la maison a été complètement vidée. À quelques exceptions près. Au rez-de-chaussée, un seul objet imposant est installé dans ce qui était le bureau de Rudolf Hoess : son piano à queue. En cette journée très symbolique, ce sont les mains du pianiste italien, Francesco Lotoro, qui jouent des compositions d’anciens prisonniers d’Auschwitz tels que Jozef Kropinski. « Ça a été écrit juste là », lance le pianiste à la fin de sa performance en pointant du doigt la fenêtre qui donne sur le camp.
Francesco Lotoro a dédié sa carrière aux œuvres musicales écrites dans les camps de concentration. « Le travail de ma vie a été de défendre la résilience, voire la beauté, qui peut provenir d’un héritage de haine », explique-t-il. À la fin de sa performance, son public est ému, pour certains aux larmes. Pourtant, lui, reste droit. Il partage alors : « Quand je joue ces musiques, je dois prendre du recul. Je les joue comme si je jouais du Mozart, du Chopin ou du Beethoven, car je dois garder mon rôle de pianiste. Par contre, dès lors que je termine, je me laisse vivre ces émotions qui sont, je l’avoue, très fortes. »

Une maison presque normale
Si la maison ne possède presque aucun meuble, au premier étage, quelques objets sont tout de même exposés. On y retrouve une tasse à café gravée à l’emblème de la SS, des bouts de journaux, de l’alcool, des cigarettes… Des souvenirs de l’époque où résidait ici Rudolf Hoess. Dans la même pièce, le pantalon d’un prisonnier d’Auschwitz est exposé. Ce pantalon a été retrouvé dans un mur. Il était enroulé autour d’un tuyau afin de réparer une fuite. Un objet du quotidien pour cette famille.
Le second étage, encore plus vide que le premier, abritait les chambres des cinq enfants du commandant. Les murs sont en mauvais état, l’étage a des allures de chantier. Difficile d’imaginer la vie d’enfants dans ces lieux, quand chacune des fenêtres offre une vue très dégagée sur le jardin, et au-delà sur les baraques du camp d’Auschwitz I.
Largement mis en avant dans le film oscarisé Zone of interest (2024), le jardin a tout d’un lieu idyllique. En cette journée de janvier, le temps est doux et le soleil fait ressortir le vert de l’herbe. Les visiteurs sont nombreux, beaucoup de journalistes, de curieux, certains venus du monde entier à l’occasion des commémorations. Ils circulent dans ce grand jardin.

Parmi eux, un homme pour qui ce décor n’est pas tout à fait ordinaire. Peter Thoren est le vice-président de la fondation Blavatnik qui a participé à la production du film de Jonathan Glazer, Zone of interest. « Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai vu ce film. Mais c’est la première fois que je marche sur les pas de Rudolf Hoess », raconte-t-il. Il ajoute : « Le fait d’être ici aujourd’hui, ça me fait ressentir une profonde tristesse. Je dois dire même une certaine mélancolie de voir de mes propres yeux qu’ici, des gens ont oublié leur propre humanité. Je pense que nous devrions tous nous préoccuper de cette histoire. »
Le quotidien d’un bourreau
Les livres d’histoire ainsi que le travail du Musée d’Auschwitz-Birkenau, qui accueille chaque année plus de deux millions de visiteurs, fournissent de nombreux détails à propos de la vie dans les deux camps de concentration et d’extermination. Aujourd’hui, les différentes pièces de cette maison révèlent la personnalité sadique du commandant. Il suffit de descendre dans la cave, de passer son bunker pour découvrir un couloir souterrain désormais condamné. « Ce passage mène tout droit au camp. Cela permettait à Rudolf Hoess de partir la nuit violer des femmes prisonnières et de revenir sans que personne ne le sache », raconte Juncal Fernandez-Garayzabal, responsable du programme de développement de Counter Extremism Project (CEP), l’organisme désormais propriétaire de la maison. Elle marque une pause et reprend : « Je vous avoue que je me demande comment la famille polonaise qui a occupé les lieux ensuite a pu vivre ici tout en sachant qui y a vécu avant elle. Je trouve ça incroyable… »
L’organisme américain a profité du rachat de cette maison pour créer le Centre de Recherche d’Auschwitz sur la Haine, l’Extrémisme et la Radicalisation (ARCHER). Placer ce centre de recherche là où Rudolf Hoess a vécu est particulièrement important pour Juncal Fernandez-Garayzabal. « Pour nous, être dans cette maison et développer ce programme de recherche ici, c’est très symbolique. La haine, avec une apparence normale, vivait dans cette maison. Désormais, on veut prendre cette haine pour la transformer en quelque chose de positif », explique-t-elle.
Ce centre de recherche aura pour vocation de rassembler des données sur la radicalisation et l’extrémisme dans le monde. Des outils comme l’intelligence artificielle seront déployés afin de détecter des contenus problématiques sur Internet et les réseaux sociaux en devançant les plateformes. C’est le sens que Juncal Fernandez-Garayzabal donne à son activité: « De cette manière, nous pourrons en faire de la sensibilisation. Cela correspond à notre philosophie, de ne jamais oublier ».
Noa Perret
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